On s’était dit : « voilà, c’est fichu pour un mois », ce sera « foot » et encore « foot » à satiété, foot le matin, le midi et le soir, des types qui courent après une balle, des commentateurs quasi-hystériques, des foules colorées et vociférantes et pour finir des trompettes qui vous font l’effet d’un essaim d’abeilles dans les oreilles.
On appelle çà le sport de haut niveau, c’est comme la Formule 1, question niveau, il est d’abord sonore. Enfin, il fallait se faire une raison. Et puis voilà ! la comédie humaine a repris le dessus, la comédie a tourné au drame ou plutôt au psychodrame. Pas de morts heureusement, seulement quelques coups de pieds dans les tibias et d’autres à l’amour-propre. Mais enfin, le voilà notre titre de gloire, nous sommes, nous autres Français, capables d’amuser la galerie, nous sommes au théâtre ! Nous voilà à la hauteur de notre réputation, celle d’un peuple ingouvernable comme ses joueurs, se méfiant de ses dirigeants et toujours prêts à les pendre ou à les décapiter, nous mettant en grève pour un oui pour un non. Que demander de plus ? On ne regarde que nous, on ne rit que de nous, on ne parle que de nous, quel besoin de faire courir des garçons derrière un ballon quand on a cette capacité-là de produire du spectacle. Et qu’on ne dise pas que le spectacle n’est pas bon, c’est du théâtre et du meilleur. Il y a là l’intrigue, les héros, les traîtres, les confidents, les ministres, les courtisans et les censeurs. Il y a les coups de théâtre, le suspense, les larmes, les déceptions, les réconciliations et même une sortie sous les sifflets. Pour un peu, on appellerait cela une tragédie et on se souviendrait que les anciens grecs faisaient intervenir « les Érinyes » que Sartre appelait « les mouches », version locale des « vuvuzella », les abeilles d’un autre destin, pour signifier le courroux des dieux. Ici, il s’agit des dieux du stade mais enfin il s’agit aussi, peut-être, d’une punition, divine ? Qui sait ! Franchement qui se plaindrait de tout cela. Et puis, dans un pays qui honnit l’argent et tout ce qui y ressemble, la honte pointée sur ces joueurs millionnaires qui trottinent dans l’en-but sans marquer, sur ces sponsors qui se battent et accourent aux trompettes de la renommée et se carapatent au premier coup de tabac, quelle leçon aussi ! Qui a dit que le sport n’était pas édifiant ? Je vous le dis, on aura assisté à une belle pièce de théâtre, une belle comédie, on n’aura parlé que de cela, on se sera divisés, déchirés, on aura brûlé ce qu’on adorait hier, les comptoirs luisants de bière sponsorisée auront épongé bien des pleurs et des frustrations, les rédactions de la presse de la radio et de la télévision auront fait de même et « refait le match » à satiété. On sera sorti de là léssivés, vaguement humiliés, un peu amers mais avec le courage de dire : « c’est la dure loi du sport » ! « Ah non dira un autre, c’est la loi de l’argent », un autre encore un peu naïf dira « c’est la faute à pas de chance » ! Et puis une petite voix dira quelque part : « Et si c’était la rançon de l’imbécillité ? » Vous croyez ? Ma foi oui !