On l’avait prévu, on l’attendait, il est arrivé. Qui ? mais le film, bien entendu, précédé de l’avantageux BHL qui décline, comme à loisir, la chronologie des médias. D’abord l’annonce, puis le reportage, bientôt le livre, et enfin le film.
. La chronologie est impeccable et le metteur en scène aussi, non pas seulement en sa mise, toujours soignée, comme au sortir d’un cocktail, mais en son sens de l’esbroufe. Ne nous a-t-il pas gratifiés d’une montée des marches avec deux supposés révolutionnaires qualifiés « d’opposants syriens » au visage masqué d’un foulard vert et portant des lunettes noires. Cannes, qui en avait vu d’autres, a néanmoins applaudi, « Le serment de Tobrouk » qui éclipsera le fameux « taxi » vers la même destination éclipsa aussi le dernier film du festival. Parcours sans faute et sans morts, du côté de la coalition en tout cas, contrôle parfait du commentaire. Pas un journaliste pour en contester la version. Il est vrai que les journalistes ont bien vite abandonné la Lybie dès lors qu’elle n’était plus « médiatique », moins en tout cas que l’élection présidentielle en France. En somme, notre donneur de leçon a bien mieux réussi là qu’en Bosnie dont il nous avait aussi abondamment tenus informés avec le film « Bosna » et il a pu même se payer le luxe de décerner au président battu aux récentes élections un brevet de grandeur, tout en précisant qu’il restait du côté de la gauche. Qui dit mieux ? Mais quoi, me direz-vous, n’a-t-on pas sauvé un peuple soumis aux délires de son tyran ? N’a-t-on pas évité un massacre ? N’a-t-on pas redonné une fierté aux masses arabes soulevées ? Il me revient en mémoire ce petit pamphlet écrit par J. Baudillard au lendemain de la guerre du Golfe. Voici ce qu’il écrit : « l’outrecuidance de l’information et des media redouble ici l’arrogance politique de l’empire occidental. Tous ces journalistes qui s’érigent en conscience universelle, tous ces présentateurs qui s’érigent en stratèges, tout en nous accablant d’un flot d’images inutiles. Chantage émotionnel au massacre, supercherie. » Ce que Baudrillard souligne, et on le voit bien, c’est que depuis G.Bush et la guerre du Golfe, ces guerres qui ne naissent pas d’un rapport antagoniste entre deux adversaires, mais comme des répressions militaires envers des civils et des forces en sécession, ne sont pas des guerres ordinaires, mais des expéditions punitives menées par des États extérieurs à leurs intérêts au nom d’une conception du monde qui est la leur. « Publicitaire, spéculative, virtuelle, cette guerre ne répond plus en fait à la formule clausewitzienne de la politique poursuivie par d’autres moyens, elle répondrait plutôt à l’absence de politique poursuivie par d’autres moyens,» ajoute Baudrillard. Quant à voler au secours des masses arabes, le résultat est plus probablement la transformation d’un État en tribus, la prolifération des armes qui vont aux groupes dissidents et le désordre qui s’ensuit. « C’est donc –dit Baudrillard- un contresens de penser qu’il contribuerait à souder le monde arabe et à lui rendre quelque fierté. En définitive il n’aura fait que le maquer, le faire travailler pour lui, pour de nouveau le décevoir et le rendre à son impuissance. »On pourra relire ce petit livre qui date 1991, il nous éclaire sur le présent. Enfin, n’y a-t-il pas une injustice à ne pas se laisser convaincre des bonnes intentions de BHL et si sa « campagne de Lybie » nous paraît bien prétentieuse, au moins ses motifs et intentions, au regard des Droits de l’homme et de la logique d’ingérence comme on en parlait du temps de Kouchner mérite peut-être qu’on les considère. Soit. Mais enfin, un pays comme la France a une politique étrangère, des institutions, des ministres sans qu’il soit besoin de donner cette détestable impression de faire une politique d’obéissance à la pression médiatique menée par un chef d’orchestre auto proclamé, c’est là le principal reproche. Le reste découle de source, cette guerre si propre qu’elle n’a compté ni morts, ni engins détruits du côté des alliés ressemble tellement à celle d’Irak qu’elle provoque un malaise. Les morts sont au sol, mais qui les comptabilise ? Et demain, on voit bien la suite : la Syrie ? Si l’on doit se poser la question et, en effet, se soucier de ce qui s’y passe, n’est-ce pas d’abord le rôle des États, des Etats-majors et de la diplomatie ? L’insupportable de la séquence médiatique qu’on a ici sous les yeux, n’est pas due tant à la suffisante sincérité de ceux qui la promeuvent qu’au détournement de l’ordre des raisons et de l’action. On connaît l’adage célèbre : « la guerre est une chose trop grave pour qu’on la confie aux militaires », on devrait aussi me semble-t-il se méfier des civils, bien plus va-t-en guerre que bien des militaires, souvent.