LE LOUVRE AU PAYS DES TERRILS

On raconte qu’aux premiers temps des Maisons de la culture, André Malraux alors ministre avait décidé que les chefs-d’œuvre du Louvre devaient être rendus au peuple et donc, pour certains d’entre eux, exposés dans les toutes nouvelles Maisons de la culture qui étaient, je crois, Bourges ou Amiens. Il se heurta alors à la résistance des conservateurs qui firent tout pour s’y opposer, mais il imposa sa volonté et dans l’une de ces maisons, il y eut une exposition des chefs-d’oeuvre du Louvre. Le Louvre y dépêcha un ou deux de ses conservateurs qui couchèrent sur place et gardèrent eux-mêmes leurs chefs-d’œuvre pendant toute la durée de l’exposition. La leçon porta et l’initiative n’eût plus de suite.

À ceci près que, cinquante ans plus tard, des chefs d’œuvre comme « La liberté conduisant le peuple » de Delacroix, « La vierge et sainte Anne » tout juste restaurée de Léonard de Vinci, « la Madeleine » de Georges Latour et tant et tant de chefs-d’œuvre du célèbre musée sont désormais présentés sur la longue durée à Lens, dans une petite ville de moins de cinquante mille habitants où la volonté conjuguée des élus locaux et de l’État a permis que soit installée une antenne du célèbre musée. Voilà qui peut étonner. Pourtant, à y regarder de près et même s’il faut rendre à César ce qui est à César, c’est-à-dire aux ministres successifs de la culture qui ont oeuvré à cette fin et au Président qui l’a facilité, il reste que la région Nord-Pas-de-Calais, gravement frappée par la désindustrialisation et le chômage a depuis longtemps joué « la carte de la culture ». Et ce n’est pas un petit challenge que se sont donné ces élus, depuis le Président Daniel Percheron, à la manœuvre dès l’origine jusqu’à la maire de Lille, Martine Aubry qui réussit la formidable opération de « Lille 2000 » dans la ville dont elle est maire, mais encore tel ou tel maire, conseiller général ou régional qui ont fait de cette région l’une des plus « culturelles » de France. Il est vrai qu’elle consacre plus du double du budget moyen des villes et régions françaises à la culture. Mais le résultat est là : 6 Scènes nationales, 1 orchestre national (J-C Casadessus) 1 Ballet national, 1 Théâtre national, 1 fonds régional d’art contemporain, 1 Opéra, 50 Musées, un bassin inscrit à l’UNESCO, Lille, Capitale européenne de la culture suivie de 3 saisons de capitales régionales de la culture. Côté budget, si l’on veut comparer avec nos régions proches, alors que l’Aquitaine accorde annuellement 2% de son budget à la culture, soit 25,7millions d’euros et Midi-Pyrénées 1,8% , soit 22 millions d’euros, la région Nord octroie 5% de son budget soit plus de 100 millions d’euros. (chiffres de 2010). Cela donne la mesure de l’effort accompli. Or, je ne dis pas cela pour encourager on ne sait quelle course à la dépense publique en montrant du doigt les bons et les moins bons, mais pour souligner que là-bas, comme plus près de nous à Bilbao avec le Guggenheim, le pari culturel est un pari de développement, économique, touristique et sur l’avenir. Nul doute que le pari du Louvre-Lens sera un succès comme l’a été Bilbao ou encore Centre Pompidou-Metz qui a pulvérisé les records de fréquentation et a couvert ses besoins de fonctionnement avec ses recettes dès la première année. C’est à la fois encourageant et déprimant, car, à l’évidence, dans un pays comme le notre, il faut la conjonction de plusieurs facteurs qui ne se trouvent que rarement réunis pour réussir de tels challenges : des élus « vaccinés » à la culture et convaincus de sa valeur émancipatrice, des élus ayant la volonté de faire fi des critiques qui toujours et partout trouvent que c’est trop, toujours trop et qu’on pourrait mieux faire autrement, ailleurs, ou pas du tout et puis des relais au niveau de l’État, avec des hauts fonctionnaires et des ministres prêtant une oreille attentive aux projets et aux ambitions. C’est un cocktail, il faut bien dire dont les ingrédients ne sont ps toujours réunis. Mais de temps à autre l’opportunité se crée et l’on a vu des villes se transformer en peu de temps, des régions aussi, des talents affluer, les discours perdre de leur morosité et des projets naître. Mais franchement faire le pari de la culture au pays des gueules noires et des terrils, il fallait une sacrée audace. Le Louvre-Lens en est la récompense et de plus, par sa simplicité et sa transparence, à l’opposé de Bilbao par exemple, c’est une autre image de la réussite.

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