L’ARDOISE MAGIQUE

C’est S.Freud, qui parlant de la mémoire employa le modèle de l’ardoise magique(Wunderblock), cette tablette rudimentaire précurseur de nos modernes tablettes électroniques qui permet d’écrire et d’effacer à volonté, tout en gardant imprimé, sur le carbone à l’époque, dans une mémoire aujourd’hui, la trace des mots et des phrases qui tels des palimpsestes peuvent à nouveau revenir migrer vers la surface. Et je pensais à cela en observant les annonces et les dénis, les repentirs comme il en existe en peinture par lesquels un gouvernement un peu trop pressé revoit chaque jour sa copie par la force des choses.

Dernier « repentir » en date, « Monumenta ». On se souvient sans doute que ce type d’exposition monumentale avait été décidé à un moment où l’on cherchait quoi faire dans la nef du Grand Palais qui venait d’être rénové. Et ce fut « Monumenta » décidé par le Ministère de la culture en 2007. Plutôt une réussite. De belles expositions qui réunirent entre 150 et 200 000 spectateurs chaque fois. De grands noms de l’art contemporain ; Boltanski évoquant la Shoah avec cette terrible grue qui déversait des piles de vêtements, Anselm Kiefer et ses masses en équilibre, ses plaques de béton écrasées, ses débris, ses immenses toiles où s’inséraient des matériaux divers. « Chute d’étoiles » était le titre. Richard Serra lui, dressa d’immenses plaques d’acier corten, comme autant de totems, Anish Kapôor une étonnante structure gonflable matricielle, Buren disposant des parasols translucides qui faisaient sur le sol comme une mosaïque persane que le tout nouveau Président Hollande à peine élu ira visiter. Et puis vint la période des économies pour le ministère de la culture comme pour les autres. C’était le temps de l’effacement de la trace des prédécesseurs : maison de l’Histoire, de la Photo, villa Médicis hors les murs, et…Monumenta. D’aucuns s’en émurent au premier rang desquels les artistes choisis et leur galeriste. Ces artistes Russes Ilya et Emilia Kabakov, qui vivent depuis vingt ans aux Etats-Unis comptent parmi les plus grands artistes vivants. On a pu voir d’eux, une belle œuvre (Icare) au 104 à Paris en 2010. On se doute bien qu’une commande passée qui nécessite d’être programmée plusieurs années à l’avance ne peut s’annuler sans dédommagements et sans frais, voire sans procès. La sagesse ou tout simplement le bon sens commande donc d’en revenir à ce qui était prévu et c’est ce qu’annonça finalement le ministère qui différant d’un an la manifestation l’inscrivit pour 2014. Tant mieux, un peu de raison ne fait pas de mal. Et l’on se dit que ce n’est peut-être pas le dernier de ces projets effacés qui reverra le jour. Car s’il est une vérité en ce domaine, c’est de constater que la logique qui prévaut est celle d’une continuité de l’État par-delà les changements de titulaires aux plus hautes fonctions. Tant de bâtiments culturels, de musées, de réalisations majeures ont été conçus par des gouvernements qui ne les ont pas inaugurés et tant d’inaugurations ont été faites par ceux qui parfois s’étaient opposés à leur réalisation. Voilà qui rend modeste et aussi optimiste. La France a trop le goût des grandes œuvres pour renoncer durablement à en concevoir le projet et Freud, une fois de plus en évoquant l’ardoise magique avait trouvé la métaphore qui convient.

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