CE MALAISE DANS LES MILIEUX CULTURELS

On le sent monter, on le lit et l’observe dans maintes protestations et prises de position, le conflit de l’été qui a perturbé nombre de festivals menace de reprendre avec les dispositions qui règlent le statut des intermittents du spectacle dont une commission doit rendre ses conclusions à la fin de l’année. Le monde culturel qui voit ici et là ses subventions rognées et ses moyens de vie se réduire est inquiet.

La première inquiétude est venue du fait que ce « milieu » qui avait largement voté à gauche aux dernières élections l’avait fait avec la certitude qu’avec la gauche la culture serait préservée des maux du temps. Or force est de constater qu’il n’en a rien été, pire les deux premières années de la nouvelle présidence ont connu la première baisse sérieuse du budget culturel de l’État, chose que ni Chirac, ni Sarkozy n’avaient osé faire. La ministre de la culture Aurélie Filippetti impuissante à enrayer cette baisse en tira les conséquences. Depuis le Premier ministre est revenu à cette idée qui se formule de manière religieuse : « sanctuarisation » du budget. Cela du point de vue de l’État. Mais l’État n’est pas tout et s’il dispense à peu près un tiers du budget nécessaire à la culture dans ce pays, les deux-tiers restant sont à la charge des collectivités locales et territoriales. Or la réduction des moyens de l’État à ces mêmes collectivités contraignent certaines (ou leur offrent l’opportunité) de réduire à leur tour les moyens de la culture et par cet effet de billard, le résultat revient au même, d’où le malaise qui s’installe. Or ce malaise a une cause principale, c’est que depuis plus de trente ans on pilote la culture dans notre pays selon le principe de la fuite en avant. On ne suit pas tant une ligne, un plan, une ambition, qu’on empile des priorités au fil des gouvernements et des urgences du moment. C’est ainsi qu’outre le fait que l’on ouvre des équipements de plus en plus grands et de plus en plus budgétivores notamment dans la région parisienne qui absorbe plus que la moitié des moyens de l’État, on crée de nouveaux ayants-droits tous les ans dans toutes les directions possibles, aujourd’hui la jeunesse, hier les quartiers, une autre fois les formes innovantes ou alors le patrimoine, sans que jamais une mise à plat ne soit faite de ce qui était structurant et nécessaire à la vie culturelle d’un pays moderne et ce qui relève de la mode et du moment. Et si l’on ajoute le fait que la mutation technologique en cours modifie et les modes de production mais aussi de consommation culturelle des français, on se trouve bientôt avec un dispositif budgétivore qui dans bien des cas tourne à vide. C’est un peu dur d’avoir à l’écrire mais les études en attestent largement. La vérité est que notre politique culturelle nationale manque de cap et de direction. Certes, cinquante ans de politique culturelle publique lui ont assuré une assise et il serait sage d’en revenir là quitte à nettoyer un peu tout ce qui s’est surajouté par la suite et ne relève plus d’une politique régalienne. En somme Malraux avait dit l’essentiel en assignant à l’État trois missions : la préservation du patrimoine, le soutien à la création et la responsabilité de l’éducation artistique. Tout le reste, le divertissement, l’action sociale, l’animation, les fêtes relèvent de l’initiative locale ou régionale selon des modalités voulues par les élus pour le bien de leurs populations. Reste la question de l’emploi culturel, la récurrente question des intermittents qui déplace sur l’Unedic la charge de l’emploi culturel. On voit que ce système commode est pervers car il permet un effet d’aubaine à des industries du spectacle comme la télévision (surtout) ou le cinéma, mais aussi toutes sortes de productions qui évitent ainsi de salarier de manière permanente leurs employés et en font porter la charge sur l’assurance chômage. Il est vrai que ce système fut créé à l’origine pour le cinéma en raison du fait qu’alors on ne pouvait trouver des techniciens et artisans qui acceptent des emplois précaires au détriment d’emplois pérennes. Mais la situation a bien changé depuis et là aussi il faudrait accepter de mettre les chose à plat. Or tout se passe là comme ailleurs comme si on ne voulait pas ouvrir la boite de pandore certains des conséquences. Et pourtant, ne voit-on pas que là encore nous allons dans le mur et que ce manque de courage nous précipite chaque jour dans une situation dont on ne pourra sortir sans dommage. Alors, si on sait à peu près ce que le mécontentement des professions culturelles peut produire de désordre, on voit mal en revanche quel ordre pourrait sortir d’une nouvelle et courageuse remise à plat du système. Et c’est là ce qui explique le pourrissement des situations dont on sait bien qu’il faudrait changer la nature et le fonctionnement mais le prix à payer paraît toujours trop lourd en matière économique ou politique et c’est pourquoi la culture est malade.

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