Une fois de plus, j’ai vu sur mon écran de TV, la Tour Eiffel s’illuminer aux couleurs du drapeau belge marquant par là la solidarité de la France avec notre voisin frappé à son tour par les attentats islamiques, ou qui se disent tels, étant le plus souvent le fait de petits voyous ayant viré aux couleurs noires du drapeau de Daesch.
Et comme avec la statue de la place de la République à Paris couverte de fleurs et de bougies après le Bataclan, voici que nous regardons nos monuments autrement ; A vrai dire, nous les regardons comme des monuments aux morts. Lorsque j’étais enfant, j’avais découvert, intrigué, ces pierres dressées remplies de noms surmontées ou accompagnées parfois de guerriers casqués de bronze, fusil en avant qui ornaient les places de village et je me souviens y avoir cherché à lire des noms connus ou familiers. C’étaient les monuments aux morts des deux guerres mondiales. Depuis, on a construit ici ou là des « mémoriaux » qui visent à entretenir, la mémoire des vivants davantage qu’à honorer nominativement les morts, plus collectifs donc qu’intimes et familiers (car le monument du village ou même de la ville laisse la trace encore vive palpiter dans les lettres des noms qui s’effacent peu à peu). Mais, comme il faut des réceptacles à l’émotion collective, voici donc que nos monuments publics font signal de la détresse des vivants devant l’horreur de la mort qui frappe ces temps-ci, à tout va. Et c’est bien en signe des temps troublés que ce monument au progrès économique et industriel ainsi qu’à la prouesse technologique que fut la Tour Eiffel joue ces temps-ci, ce rôle. Édifiée à la fin du XIX° siècle lors de l’Exposition universelle, elle signalait au monde la puissance du rayonnement culturel et scientifique de la France malgré les guerres qui avaient précédé et marqué l’émergence de l’Allemagne comme grande rivale historique à l’affrontement de laquelle le siècle suivant consacrerait la moitié de son temps. La paix enfin faite avec ce terrible voisin et la construction de l’Europe qui allait suivre nous faisait espérer « le progrès » et la prospérité pour des siècles. Aujourd’hui, non seulement l’Europe vacille sur ses convictions et ses valeurs, mais même ceux qui semblaient la mieux tenir comme le bien commun et la chance des Européens semblent douter de ses vertus et chacun songe à se protéger du mieux possible derrière ses frontières. Dans ces temps incertains que nous vivons, devant ces flux migratoires qui nous inquiètent et mettent à mal nos valeurs de solidarité humaine que compliquent les attentats terroristes il est bien difficile de croire aux symboles du progrès, de la paix, de la concorde universelle et du Bien des nations. La première tâche est de se protéger du mal et de le soigner sinon de le guérir. Guérir dans son sens ancien signifie se défendre (contre la maladie, le mal ) et donc en un sens plus vaste contre ce qui nous attaque. Or la principale maladie des nations, c’est lorsque les citoyens ne se reconnaissent plus comme membres d’une même société et fomentent, les uns contre les autres, des troubles et des crimes. Il faut alors savoir sévir sans faiblesse et reconquérir les territoires perdus de la République. Comme on le voit, l’explication par les guerres au Moyen-Orient sont une explication commode à l’errance des soldats perdus de causes incertaines. Là est sans doute la source des maux de nos nations, mais c’est chez nous d’abord qu’il faut les soigner. C’est une lourde tâche qui demande une main ferme et la force des règles face à tous les manquements sociaux quelles que soient les palinodies de nos politiques qui ont toujours intérêt à en différer l’usage. La République a en elle-même assez de principes et de ressources qui, s’ils étaient appliqués avec fermeté, suffiraient à redresser le moral de la nation sans qu’il soit besoin d’aller chercher dans l’arsenal des lois d’exception des remèdes qu’on néglige ensuite d’appliquer. À cette condition, on pourra espérer voir la Tour Eiffel se parer des couleurs de drapeaux sportifs ou olympiques pour fêter un exploit, une date importante et non un malheur de plus. Quelle que soit, leur utilité mémorielle, admettons qu’il y a assez de monuments aux morts comme cela en France, et en Europe.