CARAMBOLAGES (Paris : Grand Palais jusqu’en Mai)

Voilà une exposition bien stimulante, de nature à réveiller le visiteur qui se présente au Grand Palais à Paris pour voir « carambolages » une proposition de Jean-Hubert Martin, celui-là même qui nous avait secoués déjà en 1989, avec « Les magiciens de la terre ».

Cette fois, il nous propose une visite artistique originale sur le thème « des » Beautés et non « de la » Beauté (dont une exposition mémorable avait été faite en Avignon par Jean de Loisy en 2000). Des Beautés donc et « désordonnées », voilà le thème de la visite et le programme de l’exposition. Cela signifie que l’on ira vers les œuvres et les chefs-d’œuvre de la peinture, de la sculpture des arts classiques, baroques ou primitifs selon un ordre aléatoire et fantaisiste gouverné par l’insatiable curiosité et le hasard des correspondances ou des analogies que percevra le spectateur. On pense tout de suite à Malraux qui avait procédé de la sorte mais n’avait pas renoncé, lui, à une sorte de transcendance, de beauté supérieure, surplombant l’art des peuples du monde. La démarche de J-H Martin est plus relativiste, davantage transculturelle, moins métaphysique, il n’y a plus de « méta » dans sa démarche mais une simple juxtaposition qui donne à réfléchir sans référence à un absolu de l’art. On s’éloigne donc de cette approche chronologique de l’art basée sur des ensembles significatifs d’œuvres et d’écoles que nous ont proposé les conservateurs pendant des décennies selon le principe qui veut « qu’un artiste dépend de ses prédécesseurs et annonce ses suiveurs » dans une histoire chronologique orientée vers le futur. J-H Martin adopte lui, une démarche plus libre qui emprunte tout autant à l’anthropologie qu’à l’esthétique et qui s’inspire de l’esprit surréaliste traquant la « beauté étrange » comme clef de l’imaginaire dont Breton s’était fait le chantre inspiré. Or, il y a bien longtemps que les historiens d’art à la suite d’Aby Warburg ont attiré notre attention vers l’anthropologie (cf. l’Atlas mnémosyme) que Jurgis Baltrusaitis nous a montré la migration des formes d’une culture à l’autre, d’un continent à l’autre et que Malraux a déclaré l’art mondial, « notre indivisible héritage ». J-H Martin qui sait tout cela va plus loin encore dans son approche transculturelle car il laisse ouverte la porte du musée imaginaire à l’imprévu, au bizarre et à l’inattendu, la beauté qu’il célèbre ce n’est pas celle que Kant désignait comme « ce qui plait universellement sans concept », c’est celle des pluriels, de ces beautés relatives comme les cultures, d’où elle surgissent et se rapprochent de nous par le collage, l’assemblage l’installation, le carambolage, qui deviennent alors les principes fondateurs d’une nouvelle esthétique. L’exposition en est la démonstration qui découle de cet enchaînement par analogie comme par « coq à l’âne » et c’est ainsi qu’une « Idole aux yeux » mésopotamienne, peut voisiner avec une « vision de Zacharie » ou un masque Malinke de Guinée, une Artémis d’Éphèse avec un martyre de Sainte Agathe ou une coupe de J-B Odiot. Pas de limite à l’originalité, la pertinence et la fantaisie. C’est à l’image d’un mobile de Calder qui tient en équilibre et en mouvement alors que ses masses, ses formes et ses poids sont tous différents et cela en une œuvre unique qui surgit de ces rapprochements. On sort de là convaincus ou simplement troublés, voire dubitatifs. On peut apprécier la démarche ou la contester, on peut admirer la pertinence ou critiquer les choix, on peut se dire qu’on en ferait d’autres. On fait en somme ce que le « curateur » attend de nous, on fait œuvre d’imagination. Car il faut bien reconnaître que cette proposition libre et joyeuse, impertinente parfois, fait sens avec l’approche contemporaine de l’art. Du reste l’exposition elle-même nous propose un parcours qui consiste « à voir d’abord et à lire après » (les cartels en forme d’images animées inspirées d’un procédé de l’artiste Philippe Parreno sont placés en bout de chaque allée et non sous les œuvres). Nous sommes donc libres de regarder à notre guise sans être influencés à priori. Du coup, cette exposition « fait signe et sens » comme en son temps, « les magiciens de la terre » dont on parle encore, vers un autre usage du concept d’exposition dans ces temps « multiculturels » qui sont les nôtres et nous posent tant de questions.

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