DIVORCE À L’ITALIENNE

Ça avait commencé par des petits mots doux, de ceux qu’on prononce en campagne électorale vis à vis d’adversaires qui ne sont pas encore en charge de responsabilités d’État. La réponse ne s’est pas faite attendre dès lors qu’elle a été possible. On en a mesuré récemment l’escalade avec le rappel de l’ambassadeur de France en Italie, car c’est bien sûr de cette relation franco-italienne qu’il s’agit. Du côté transalpin on déclare avoir été agressé, du côté français aussi. Mais qui a commencé ? La France semble-t-il. À la question posée de savoir pourquoi, la réponse vaut celle de l’élève pris en flagrant délit dans la cour de récréation : C’est pas moi monsieur, c’est lui. Non c’est lui. Toi ou lui ? Lui monsieur ! Pourquoi ? Pour me rendre. Mais c’est toi qui a commencé ! Oui M’sieur, mais je m’étais rendu le premier. On voit par là que de la cour de récréation à la cour des États, il n’y a que la distance des générations. Le Président français, fin stratège a tenté récemment de déminer la situation par une de ces parades médiatiques dont il a le secret. Pourtant le malaise persiste.

Car, c’est sur ce fond de mauvaise polémique qu’on en vient à des querelles plus ridicules encore : l’affaire « Da Vinci » dont la France voulait fêter le cinq centenaire auquel l’Italie devait participer en prêtant des tableaux. – Il est vrai qu’il n’existe que quatorze tableaux identifiés de ce maître sur 17 connus et qu’il n’y en a que 5 au Louvre (et 22 dessins), – c’est peu pour faire un événement, mais il y a « la Joconde ». Outre que c’est la gloire du Louvre, c’est le tableau de la plus profonde discorde avec les Italiens. N’est-ce pas un vitrier italien du nom de Vicenzo Peruggia qui en 1911 vola puis emporta en Italie le célèbre tableau pour le rendre à « son peuple » et qui, avant d’être rendu à la France, fit une tournée triomphale dans les grandes villes italiennes où l’on vit des femmes se mettre à genoux et des hommes se découvrir comme si ce tableau était une icône ! Les Italiens n’en démordent pas : On leur a volé la Joconde et pour un peu on dirait que c’est Napoléon qui l’a fait lorsqu’il a ramené en France plus de 500 tableaux comme prises de guerre après ses campagnes d’Italie. Qu’importe que le voyage à Rome ait été pendant des siècles le pèlerinage de tous les grands peintres européens et que les échanges artistiques aient été nombreux avec ce pays (qui n’est devenu l’Italie qu’au XIX° siècle). Qu’importe que ce pays ait été à l’époque composé de duchés qui se volaient ou achetaient leurs meilleurs artistes (Rome, Florence, Venise ont ainsi courtisé les meilleurs au gré de leurs intérêts). Au reste François 1° ne fit pas autre chose après la bataille de Marignan gagnée contre les Milanais. Le roi ébloui par la splendeur de la Renaissance italienne fit les yeux doux à De Vinci, lui acheta la Joconde et l’invita en France, où le grand peintre qui n’était plus guère en cour à Florence vint finir sa vie après avoir passé les Alpes avec 4 tableaux dans ses bagages. Fêté, pensionné, aimé du roi, Leonard de Vinci mourra en France (un tableau d’Ingres le montre, expirant dans les bras de François 1°, ce qui est sinon une vérité, du moins la métaphore d’une histoire). Il y avait là assez d’éléments pour en faire un de ces évènements culturels marqués par des échanges avec l’Italie à laquelle la France allait prêter des tableaux de Raphaël pour son centenaire l’année suivante, ce qui était pratique courante jusque-là. Mais il y a eu la polémique politique, et la ministre de la culture italienne d’extrême droite, Lucia Borgonzoni, menace de ne pas prêter de tableaux au motif que Léonard est un peintre italien dont la France n’a pas à se prévaloir. Le conservateur du musée des Offices de Florence a menacé lui aussi de démissionner si on l’y oblige. Imbroglio ! On voit où mènent les querelles identitaires. Ici, il n’est question que de tableaux, c’est regrettable certes et la raison prévaudra sans doute, et si ce n’était pas le cas, ces tableaux resteront visibles dans les principaux musées européens, de surcroit ils sont connus et nombre d’entre eux comme La Joconde sont archiconnus, mais rien que pour la voir derrière sa vitre blindée et les cohortes de touristes qui font des selfies devant elle c’est déjà, et ce sera encore plus, tout un programme avec le cinq centenaire. Mais, il y a plus grave, c’est cette idée baroque de vouloir « nationaliser » les artistes qui n’en peuvent mais, les redéfinir par leur lieu de naissance, les assigner à résidence quelque part alors que leur patrie, d’évidence, est d’abord l’art, de les nationaliser après coup par une volonté de purification ethnique dans la culture, ce qui est proprement absurde. Mais cela en dit long sur l’Europe dont on voit bien où un nationalisme exacerbé conduirait les peuples. On accomplirait ainsi le tour de force de réinventer l’art nationaliste alors qu’on a encore le souvenir terrible de la caricature de ce qu’en ont fait les régimes fascistes ou totalitaires : au mieux un pastiche, au pire un autodafé. Marc Bélit.

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