LA CULTURE EN NOIR et BLANC ?

Un épisode de la vie culturelle courante qui n’aurait guère dû avoir de conséquences est à l’origine d’un fait divers qui vaut commentaire. Un metteur en scène de théâtre antique (philippe Brunet) donnait en mars à la Sorbonne une représentation des « Suppliantes » d’Eschyle (cinquième siècle avant J.-C) ou plutôt, tentait de le faire en a été empêché par une manifestation. Cette pièce met en scène des grecs D’Argos supposément blancs et des Danaïdes venues d’Égypte supposément noires. Pour cela le metteur en scène avait préconisé l’usage de maquillages sombres pour les seconds et aussi de masques cuivrés.

Immédiatement des réseaux étudiants ont attaqué la représentation et fait annuler la pièce au motif que cette discrimination par la couleur s’apparentait au racisme en invoquant un thème, celui du « Blackface » qui au XVIIIe siècle consistait à exhiber des noirs comme tels pour amuser les blancs. On y ajouta la référence à un spectacle du XXe siècle français inconnu depuis mais qui s’appelait « Malikoko roi nègre » et pour faire bonne mesure on évoqua aussi l’exposition coloniale et la « revue nègre » de Joséphine Baker. Peu de gens avaient entendu parler du « Blackface » qui est un surtout un élément de conflit interculturel aux Etats-Unis.

À l’origine de ces manifestations le CRAN (conseil représentatif des associations noires de France) ainsi que des ligues anti racistes et la brigade antinégroïde, tous organismes plus ou moins autoproclamés, accusent  le grimage du blanc en noir d’être une forme d’humiliation et  Georges Tin, universitaire distingué et président du CRAN, déclare : » qu’on a probablement affaire à un « blackface non intentionnel certes mais réel et qu’il serait condamnable de persévérer » . Ceci dans le registre mesuré, mais derrière il y a un déchainement de haine, de demandes de réparations, d’excuses publiques et tout l’attirail de la repentance qu’on ressort à chaque fois, car  à partir du moment où un événement polémique se produit, il devient la source d’une inflammation des réseaux sociaux qui en amplifient la portée et résuscitent les vieilles haines recuites.

Nous en sommes là en effet. Peu importe en vérité le fait lui-même, (une représentation de théâtre antique à la Sorbonne!) que l’occasion donnée pour servir de prétexte à un combat.Cela serait ridicule sir ce n’était pas le signe d’une évolution de nos mœurs à forte prévalence américaine. Il n’est pas indifférent  d’observer, en effet, que ces comportements viennent des Etats-Unis et particulièrement des milieux universitaires, véritables laboratoires du « politiquement correct », mais aussi, laboratoires idéologiques de conflits multiculturels qui sous couvert de tolérance pratiquent l’intolérance la plus extrême. À la base on trouve les luttes identitaires, d’abord historiquement entre noirs et blancs, mais qui intéressent aussi aujourd’hui toutes les communautés. De sorte que toute vérité jugée potentiellement offensante pour quiconque doit être pour ces motifs, censurée. Dans certains Campus on a ainsi aménagé des espaces sécurisés:( safe spaces) mettant les étudiants à l’abri des risques d’être choqués par des propos ou des comportements « inappropriés » (le terme est devenu célèbre) comme il y a aujourd’hui des espaces non-fumeurs pour se protéger du tabac. On y pratique aussi ce qu’on appelle le (speech code) qui n’est autre que le « politiquement correct » dans le but « d’euphémiser » la réalité. Tout cela serait risible si cela ne s’invitait pas peu à peu chez nous d’abord à l’université, par porosité sans doute, mais dans notre vie quotidienne ensuite, laquelle qui est de plus en plus contrainte, censurée et pénalisée.

Car c’est bien là le problème : celui de la censure du langage d’abord, des mœurs ensuite et pour finir de la liberté tout court. Les thèmes en sont connus : la religion, la race, le genre, l’orientation sexuelle, sur fond de surenchère puritaine alimentée par les scandales sexuels qui, d’une façon ou d’une autre, montrent la montée en puissance des communautarismes sur fond de multiculturalisme revendiqué. Dans ce contexte, le droit est de plus en plus utilisé comme un instrument d’intimidation et de contrainte et l’on va aujourd’hui au pénal pour un bon ou un mauvais mot prononcé en public. La police du langage est en cours, celle des comportements suit, on n’en est pas encore au système chinois du flicage généralisé mais on y va, Orwell a là-dessus tout dit depuis longtemps. Autant ne plus rien dire en public et c’est sans doute pourquoi les réseaux sociaux anonymement s’en donnent à cœur joie dans le nauséabond. Trop de filtres conduit à l’égout.

Dans cette affaire comme toujours, la culture est au centre du conflit car avant de devenir politique (ce qui est inévitable) ce dernier est d’abord culturel.  On a vu ainsi récemment quelqu’un qu’on n’aurait jamais imaginé pouvoir être suspecté de ce type de choses : Ariane Mnouchkine, du Théâtre du Soleil, se trouver au cœur d’un conflit pour avoir invité à Paris le metteur en scène canadien Robert Lepage avec son spectacle « Kanata » qui balaie l’histoire du Canada au travers de ses cultures. Quel est le reproche ? D’avoir réalisé ce spectacle avec des comédiens de 26 nationalités différentes mais pas un seul représentant du peuple autochtone canadien, comme si le geste artistique devait être conditionné par des conditions ethniques ou morales. Sous les critiques, ce spectacle a été abandonné. mais la liste est longue de ces artistes de théâtre (souvent plutôt metteurs en scène: Brett Bailey, Castellucci et d’autres) qui se trouvent exposés par la nature de leur art à la menace de la police de la pensée s’il faut appeler les choses par leur nom.

La conclusion est bien que la culture, ce lieu des discours édifiants du partage et de l’échange, de l’écoute de l’autre, est devenu, toute honte bue, le champ clos de luttes d’influence de communautés entre elles, qui toutes sont en guerre pour être, chacune, le centre de l’universel. Ici l’universel abstrait des lumières, là, l’universel concret de la foi, ou de la loi religieuse, ailleurs l’irréductibilité des cultures entre elles. De sorte qu’on peut conclure que la seule chose qui nous réunit désormais n’est pas que nous soyons d’humanité semblable aspirant à une culture universelle, ni que nous cherchions l’humanité de l’homme dans l’homme, mais que nous sommes de cultures différentes, irréductibles entre elles, et toutes opprimées qu’il s’agit de venger, de sorte que  notre unité n’est plus à rechercher dans ce qui nous rassemble mais dans  ce qui nous différencie. C’est la fin du siècle des lumières, et de surcroît, ce retournement idéologique récent, est le symptôme de notre malaise démocratique croissant.

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