L’assemblée nationale légifère ces temps-ci sur la conduite du chantier Notre-Dame. Il semble que le pouvoir veuille s’affranchir du long temps administratif règlementaire qui retarde les chantiers parfois pour de bons, parfois pour d’inutiles motifs. La profession s’en inquiète et elle a sans doute raison, mais là n’est pas à nos yeux l’essentiel.
En effet, il n’échappe à personne que l’une des questions que se pose fatalement un Président de la République en France est celle-ci : quelle trace architecturale va-t-il laisser durablement dans le paysage urbanistique, historique ou artistique du pays durant son passage aux affaires ?
Louis XIV laissa Versailles, Napoléon les Arcs de triomphe du Carrousel et de l’Étoile (qu’il ne verra pas), la colonne Vendôme, le second Empire transformera Paris construisant des monuments en quantité dont le palais Garnier et les Halles Baltard détruites sous Pompidou, qui fit édifier, lui, le Centre d’art et de culture Georges Pompidou. Valery Giscard d’Estaing laissera La Cité des Sciences de la Villette et François Mitterrand pas moins de dix monuments parisiens dont la grande Arche de la défense, la Grande Bibliothèque, la pyramide du Louvre qui fut « le choix du Prince » puisqu’il en choisit l’architecte et le projet hors toute commission et même ce réaménagement de la place royale où sont les colonnes de Buren qui fut terminé en pleine cohabitation dans une polémique comme on les aime en France. Depuis lors, les touristes ravis se font photographier sur les lieux qui ont remplacé avantageusement le parking dévolu au Conseil constitutionnel. Jacques Chirac ne suivra lui qu’une seule ligne, sa passion pour les Arts premiers qui lui permit de gagner le bras de fer contre les conservateurs qui n’en voulaient pas au Louvre, puis d’édifier ce Musée du Quai Branly finalement devenu musée Jacques Chirac consacré aux Arts premiers. Le Président Sarkozy entreprit lui de laisser « une Maison de l’Histoire de France » qui faillit se faire au carré des Archives à Paris mais que son successeur s’empressa d’annuler. Il est vrai que la question de l’Identité française qu’elle sous-entendait est une question résiduellement polémique, à telle enseigne qu’il est impossible de simplement vouloir la poser. François Hollande, le Président normal ne sembla guère se soucier de laisser une trace monumentale, ni même une trace mémorielle, il aura passé comme ces présidents de la IV° République dont on cherche parfois le nom au jeu de scrabble.
Reste Emmanuel Macron. Ses premières déclarations sur la culture française laissèrent bien des gens perplexes (il n’y a pas de culture française !) Il a depuis, fonction oblige, bien modifié son discours et sa posture depuis son apparition sous la pyramide du Louvre jusqu’à ses grandes réceptions versaillaises. Mais aurait-il eu le temps de se consacrer à laisser une trace architecturale ? En aurait-il eu même le désir ?
Mais les voies du ciel sont imprévisibles et l’incendie de Notre-Dame lui donne soudain une opportunité unique. La reconstruction de la toiture et surtout de la flèche de Notre Dame en offre la possibilité. Quel signal donner au pays et quelle trace de sa mandature en en choisissant la forme ? Une restauration à l’identique qui donnerait de lui l’image d’un président conservateur ? Un geste architectural audacieux comme l’y appellent de grands architectes, plus conforme à son image ? On voit bien que le symbolique l’emportant sur l’historique la tentation sera grande de peser sur le choix final.
La flèche de Notre-Dame deviendra-t-elle ainsi, un jour, « la Flèche Macron » comme elle fût celle de Viollet-le-Duc ? Sans doute ne s’attendait-il pas à devoir faire face à un tel défi, mais nul doute non plus qu’il doive y songer. Bousculé par l’effet des réformes qu’il a mises en œuvre, contesté de toutes parts, à mi-mandat de son règne, il n’aura guère le temps d’impulser de grands projets culturels, en tout cas on n’en voit pas l’esquisse d’une intention. Reste la reconstruction opportune dans laquelle son choix sera déterminant. Nul doute qu’il s’en saisisse, c’est probablement pourquoi il lui fallait cette loi qui lui permettra de s’affranchir et du temps et de la paralysie qu’une administration tatillonne pourrait dresser devant lui. La flèche Macron gagnera-t-elle la course avec la flèche du temps et plantera-t-elle son ambitieux coq de cuivre et d’or dans le ventre des nuages ? Sera-t-elle comme la flèche dont parle Valery « qui vole, vibre et qui ne vole pas », ou comme celle du Parthe de l’antiquité qui retournera cette arme contre ses poursuivants les empêchant de riposter ? L’avenir proche le dira.