VENDU, PAS ADJUGÉ !

Judith de Holopherne attribué à Carvage

Coup de théâtre dans la pièce du Caravage à Toulouse. Voilà la fin (supposée) du roman d’un tableau : le mythique « Judith et Holopherne » qui aura tenu les milieux de l’art et le grand public cinq ans en haleine a été retiré de la vente publique pour être cédé, de gré à gré.

Trouvé dans le grenier d’une demeure de la région toulousaine, en très mauvais état, restauré par un commissaire priseur connu de la place toulousaine qui n’en est pas à son premier coup de maître, il aura été examiné, expertisé, par de nombreux spécialistes, montré en de nombreux endroits susceptibles de nourrir le suspense, un temps interdit de sortie du territoire français (en 2016), convoité puis abandonné par les conservateurs du Louvre dont on se demande encore si c’est parce qu’ils doutaient de son authenticité ou parce qu’ils auraient eu du mal à payer la préemption, (le tableau était estimé entre 100 et 150 millions), finalement certifié comme authentique Caravage par un cabinet d’experts connus sur la place parisienne, ce tableau aurait dû faire l’événement de l’année pour une vente en province. La maison de ventes toulousaine avait retenu la Halle aux grains de la ville et 2000 personnes étaient attendues pour vivre cet événement en direct le 27 Juin.

Patatras, on apprend la veille que le tableau était retiré de la vente, car vendu à un collectionneur étranger, « proche d’un grand musée » et que la proposition était telle que les vendeurs ne pouvaient la refuser. On veut bien croire le commissaire-priseur, mais deux questions se posent : a-t-il préféré ne pas tenter le diable, ni lâcher la proie pour l’ombre ? A-t-il eu peur que le refus du Louvre d’acheter le tableau après l’avoir longuement examiné ne dissuade de grands acheteurs ? A-t-il préféré conclure à un prix « inconnu du public » moindre que celui attendu, on ne saura pas.

Ou alors a-t-il effectivement vendu au prix attendu, à quelque milliardaire en pétrodollars qui aujourd’hui financent des acquisitions mirifiques pour nourrir les grands musés qui s’édifient dans les émirats du Golfe par exemple ? N’avait-on pas vu récemment se vendre le « Salvador Mundi » de Léonard de Vinci (estimé à 150 Millions et vendu à 450 millions quoique en piteux état d’origine) dans des conditions comparables. On ne sait au juste.

Il est encore possible que des musées en Chine ou en Amérique aient pu convoiter cette œuvre, car quoi qu’il en soit réellement de son authenticité probable cependant, le fait de pouvoir exposer une telle œuvre qui a déjà fait tant parler d’elle constitue pour un Musée qui l’achète la garantie d’une fréquentation assurée sur de longues années, ce qui en fera un placement aussi sûr que bien d’autres plus risqués.

On regrettera seulement qu’après nous avoir fait saliver avec cette saga de l’œuvre découverte dans des conditions rocambolesque et son cortège d’expertises, la vente publique ne soit pas venue conclure une si belle histoire. Tout le monde aime ce genre de conte avec la découverte d’un chef d’œuvre inconnu au fond d’un grenier et il a dû y avoir beaucoup de toulousains et d’autres qui ont occupé leurs Week-ends à fouiller les combles des vieilles demeures à la recherche du trésor caché derrière une cloison, mais tout le monde n’aura pas cette chance et bien peu de maisons conservaient ce genre de tableaux. Alors on reste sur sa faim et sur la fin de cet épisode avec cette question : Qui ? Et combien ?

Le public a le droit de connaître le dénouement, lui qu’on a tant fait patienter après l’avoir alléché de révélations et de doutes successifs. Mais on attendra longtemps, le coup de marteau d’adjudication du commissaire priseur qui, lui au moins, aura fait coup double en encaissant sa part et en capitalisant une réputation qui ne cesse de croître, car avant cette vente, il y eut à son étude la vente d’un sceau impérial chinois en jade ramené du « Sac du Palais d’été » à Pékin par quelque soldat revenu à Toulouse, puis d’un rouleau impérial chinois qu’il eut la chance de pouvoir soumettre aux enchères.

Cette fois-ci, il nous prive du dénouement comme dans une pièce de théâtre qui se terminerait en queue de poisson et on a envie de dire comme au boulevard : « remboursez » ! Enfin, ce n’est qu’un mot.

L’affaire est-elle ainsi conclue ? Sans doute, mais on a vu aussi des ventes se révéler infructueuses par la carence de l’acheteur. On l’espèrerait presque pour le plaisir, mais ici, on en voit guère qui serait lésé par la vente de ce Caravage et aurait intérêt à faire capoter la vente. Consolons nous alors en nous disant que si on l’a suivi, ce feuilleton nous a quand même bien divertis. C’est comme une série à la télé, mais ça se passe non loin de chez nous, c’est toute la différence. N’est-elle pas belle la vie pleine d’histoires à raconter plus tard !

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