ET MOI, ET MOI, AIMEZ MOïX

Il n’aura échappé à personne (de ceux qui suivent l’actualité littéraire en tout cas), que celle-ci s’annonce idéalement par un scandale. Telle est aujourd’hui la réalité médiatique où, si un tweet ravageur présidentiel marque le tempo de la politique, un beau scandale familial assure le tempo du monde des lettres. Comment en effet, faire parler des plus de 600 livres qui sortent en cette rentrée littéraire ? Impossible ! Impossible de les lire tous, ni même d’en lire le compte rendu.

Tout le monde se bouscule au portillon et la liste des 20 livres dont on « doit » parler a été fournie aux critiques et aux médias par les éditeurs eux-mêmes dès le printemps. C’est ce qu’on appelle l’écrémage. Dans cette vingtaine, il y ceux qui auront des prix, c’est-à-dire qui assureront à l’éditeur, gagnant d’abord, l’équilibre de ses comptes annuels ou le profit parfois et à l’écrivain des ressources nécessaires. C’est ce qui explique qu’il y ait de l’embouteillage car tout le monde veut être devant. Alors un beau scandale, de surcroit avec une personnalité déjà médiatique est opportun(on a vu le phénomène Christine Angot se déployer ces dernières années sur un registre comparable, avec un succès certain, indépendamment du talent de l’intéressée). Voilà de la stratégie éditoriale et du business bien conduit.

Voici donc un écrivain à succès, animateur d’émissions de télévision controversées, à l’occasion réalisateur et déjà prix Renaudot qui descend cette fois dans l’arène par l’escalier du scandale. Son nom : Yan Moix, sa réputation, sulfureuse.

L’objet de l’ouvrage: la maltraitance (sujet idéal par les temps qui courent), la famille ensuite (au centre des bouleversements que l’on sait) et nous avons là, un sujet de société comme on dit. Sur ce sujet, il y a déjà une référence majeure, le succès de « Vipère au poing » qui a conduit Hervé Bazin (5 millions d’exemplaires vendus en 1948, on croit rêver), aux plus hautes distinctions et jusqu’au jury Goncourt dont il n’obtint jamais le prix qu’il définissait ainsi ::  «un ouvrage en situation qui attire l’attention du public sur un problème particulier, et qui est écrit de telle sorte qu’un très grand nombre de lecteurs puissent y trouver pâture». Nous y sommes avec le dernier livre de Yan Moix qui ne fait pas mystère de viser le Goncourt. Et pour faire bonne mesure, voici que dans le tohu bohu des déclarations, des plaintes en justice, des dénonciations et témoignages on vient d’exhumer contre lui des écrits antisémites de Jeunesse. N’en jetez plus, la coupe est pleine.

On ne se prononcera pas ici sur le talent ou non de l’écrivain. Les avis sur ce sujet sont partagés et le notre est plutôt positif, mais nous adopterons la stricte neutralité en disant : tout écrivain à droit à la liberté de son sujet, au traitement qu’il en fait, indépendamment de tout jugement moral. C’est ainsi qu’en général on considère la littérature, celle de Gide, de Mauriac, comme celle de Céline ou de Rebatet, tous scandaleux à leur manière.

C’est sur un autre plan que se pique notre curiosité. Quelle est la part du calcul, de la stratégie et de la tactique en cette affaire ? C’est ce que nous aimerions bien savoir, tant l’addition des ingrédients correspond parfaitement à un plan de lancement éditorial parfait : un sujet de société au centre de la cassure du modèle ancien hérité de la tradition religieuse majoritairement catholique de notre société : la famille et les lois successives qui en modifient, voire en transforment le rôle et le sens. La famille, éclatée, recomposée, décomposée, voilà le terreau idéal pour la réalité-fiction qu’on nous sert déjà d’abondance dans la littérature et les médias. La maltraitance ensuite dont une société découvre à chaque fois l’ampleur avec sa dimension parfois sexuelle ou scatologique qui en accroît l’horreur. L’antisémitisme qui s’invite au débat et nous avons là les éléments du drame. Que les intéressés se défendent et aillent au procès, c’est de la pub assurée pour rien. Que chacun s’en mêle et donne son avis (c’est le cas ici) et ça ajoute au volume et à la rumeur. Le résultat ne s’est pas fait attendre, déjà deux retirages en une semaine, les autres évènements littéraires éclipsés pour un temps. Reste une question : la sincérité. Nul doute qu’il y ait chez Moïx une blessure d’enfance et narcissique de surcroit. Mais comme tel son livre va trop loin ou pas assez loin, sa ritournelle d’amourettes ratées d’écoles en collège et de lycée en prépa est un peu banale malgré tout et il y a des humiliations dont on se remet.

Allons, si tout cela vous accable ou vous indiffère, jetez-donc un coup d’œil sur un petit livre (48 pages, 5,50€) qui dit l’essentiel en relevant par exemple que « les meilleurs livres sur le marché sont toujours parus depuis plus de trois mois, que les bons librairies se reconnaissent au fait que les livres mis en évidence rendent curieux des livres de leurs voisins, et qu’ils vous invitent alors à choisir un livre sur sa couverture ou son dos et à en entamer la lecture au hasard,. C’est ce qui fait les vraies découvertes littéraires. Ce petit bijou édité par les éditions du Sonneur s’intitule : « Incognita, incognita » et son auteur anglais se nomme : Mark Forsyth.

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