LES VIEUX ?

Jamais on n’a tant parlé des vieux. Cela nous change un peu, il faut dire : jusque-là, il n’y en avait que pour les jeunes. Le jeunisme avait atteint la société depuis longtemps et chacun voyant s’empiler les ans, faisait de son mieux pour paraître toujours jeune. Il fallait s’adapter et vite si on ne voulait pas lâcher la corde, trébucher dans l’escalier, confondre les numéros de téléphone dans sa tête, se souvenir de tout sans avoir l’air de rien et surtout éviter de dire : « de mon temps… »

Les meilleurs d’entre eux avaient pris le pli assez vite, appris l’informatique avec les petits enfants en devenant accros des Smartphones et des tablettes, se refaisant une beauté ou un « profil » comme on dit sur Facebook, envoyant des Tweeet ou des SMS à tout bout de champ, ils se croyaient sortis d’affaire.

Mais les autres, les victimes de la fracture numérique, les abonnés au journal papier, les fidèles des bonnes habitudes qui le lisent sur un banc au soleil en regardant distraits les joueurs de boules tout aussi vieux qui tirent le cochonnet avec des ardeurs de jeunots ? Et puis ceux qui vont parfois au stade voir leur équipe transpirer en vain contre plus fort qu’elle, mais qui parfois se lèvent dans les tribunes au risque de trébucher sur le voisin, saisis de la joie frénétique de voir « nom de Dieu», « les siens » marquer un essai.

C’est qu’il y en a des vieux, et de toutes sortes, de ceux qui viennent dans les supermarchés dès l’ouverture, non pour remplir leur caddie, – deux ou trois boites de conserve et leur pain avec un peu de viande ou de  fromage en promotion, leur suffit -, mais pour rencontrer les autres, faire la causette aves des habitués et s’ils ne les trouvent pas, avec la caissière « qui a de si jolis yeux » et qui écoute un moment, ces riens qu’ils ont à dire, sans montrer d’impatience.

Et puis au bout du bout, il y a ces vieux qui restent à l’Hospice comme on disait avant, à l’EHPAD comme on dit aujourd’hui, et qui, s’ils ont encore leur tête à eux, se disent que c’est sans doute là, bien soignés et accompagnés de la sollicitude de ceux qu’ils ne connaissaient pas avant, qu’ils finiront un jour. Ces vieux qui se sentent coupables de vivre si vieux comme dit l’ancienne ministre Mme Pelletier.

Les vieux. Oh, ils ne sont plus comme ceux que chantait au siècle dernier Jacques Brel qui les voyait assis ensemble écoutant au salon la pendule d’argent « qui dit oui, qui dit non, qui dit je vous attends » de ceux qui ne lisent plus, dont le piano est fermé et la télévision ouverte tout le temps. Les vieux, objet de notre tendresse dont Brel dit encore qu’ils « ne meurent pas, qu’ils s’endorment un jour, et dorment trop longtemps ». Les vieux de ce temps-là, nos vieux à nous qui « découvrons » que nous sommes vieux à 60, 65 ou 70 ans, puisqu’on nous le dit ; c’était le monde ancien.

Le monde nouveau est terrible. Les dirigeants du pays, les médecins, les chefs de tous ordres ne s’embarrassent pas de circonvolutions, ils disent : « les vieux  meurent les premiers » et davantage du Covid 19 que les autres : regardez les statistiques. IL faut les protéger, alors on les confine (on confine tout le monde en vérité) ; on les met sous cloche comme des salades trop fragiles par temps de gel.

Et puis, voilà que les intéressés se regardent dans la glace. Mais comment ? Alors que la longévité était inscrite dans l’agenda de la modernité et de sa médecine, que les régimes de tous ordres et les recommandations santé vous promettaient une jeunesse pour longtemps, qu’on vous vendait des résidences au bord de la mer, des voyages au bout du monde, qu’on vous disait : la vie recommence à 60 ans, remariez-vous, changez de partenaire, vous avez encore 20 ou 30 ans à vivre encore et en bonne santé : l’important est d’être jeune dans sa tête ! Voilà qu’on vous traite de vieux ! On ne dit plus par euphémisme : « les personnes âgées », ni même « les seniors », on dit carrément : « les vieux ». C’est un monde !

Bon, vivement qu’on nous « déconfine » avant que nous soyons « déconfits », qu’on puisse se dégourdir les jambes et se prouver à soi-même, à défaut des autres, qu’être vieux c’est dans sa tête et dans les statistiques avant tout.

Enfin, je vous dirais : moi depuis qu’on me traite de vieux à la télé, ça me contrarie, je ne l’allume plus, je lis des livres et j’écoute de la musique, cette semaine de Pâques, c’était : « la Passion selon Saint Mathieu » de Bach. Mais n’est-ce pas un requiem me direz-vous ? Si en quelque sorte, mais avec une résurrection le dimanche. « Eh Papy, tu as pensé aux chocolats ? » Diable oui, mais les manger tout seul comme un vieux, m’attriste et m’accable, je vais les garder pour vous mes petits enfants. C’est que, comme disait à peu près le philosophe Alain si le chocolat a goût de chocolat (lui il parlait plutôt de fraise), la vie, elle a goût de bonheur ! Joyeuses Pâques !

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