TRÉSORS DES BIBLIOTHÈQUES

Ces temps de confinement sont plus que favorables au rapprochement avec nos vieux compagnons, les livres. Même si nous sommes de bons lecteurs, nous avons fini par succomber, peu pou prou, (certains pas du tout, je sais) à la culture d’écran et négligé l’essentiel.

Mais peut-on vivre hors de son temps et se passer de cette information qui tourne en boucle en période d’inquiétude?

 

Maintenant celle-ci devient carrément anxiogène ; l’explication des experts devançant l’événement n’est plus une explication, c’est un oracle. Voilà qui nous plonge dans l’antiquité !

Une bonne occasion de rouvrir nos vieux « Guillaume  Budé  » à l’emblème de la chouette qui regarde en arrière, et, de fil en aiguille, revisiter nos rayonnages poussiéreux.

Que d’oublis là-dedans, que de trésors, que de compagnons de solitude laissés là pendant des années, que dis-je, des décennies, transportés parfois par paquets d’une bibliothèque à l’autre, classés plus ou moins bien, relus à l’occasion ou pas du tout, ou même pour certains aux pages encore pliées selon la veille méthode des « in-quarto » que l’on découpe pour voir ce qu’ils ont dans le ventre avec des remords de bibliophiles, soucieux de perdre avec la valeur d’usage, la valeur d’échange.

Il arrive alors que l’on tombe sur une phrase marquée au crayon ou sur une page cornée, comme il ne faudrait pas le faire, mais on n’avait pas le temps de la recopier pour l’oublier ailleurs ! Et ces fragments nous paraissent parfois des trésors, tant la citation est à l’ouvrage ce que le tesson est au vase antique brisé que va découvrir l’archéologue dans les sables, mais ici déjà détaché sous forme d’aphorisme ou de sentence. Cela nous rappelle que les moines et les scribes qui ont recopié les parchemins n’ont souvent laissé que ces quelques traces dont des générations de chercheurs et d’universitaires ou d’épigraphes savants s’efforcèrent de retrouver le plan, le sens et l’unité. Avec notre désordre actuel et la profusion de nos documents, nous les précédons en quelque sorte car nul ne doute que la fin du règne de l’écrit est déjà inscrite dans le temps.

Mais quel bonheur aussi de retrouver un livre que nous aimions ou un autre que nous avons renoncé à chercher, ou cet autre tombé entre les rayonnages ; c’est ce qui arrive aux petites plaquettes de poésie, précieuses s’il en est ! Une édition rare des « Illuminations », deux ou trois de ces recueils minuscules de René Char qui paraissaient chez GLM et qu’on achetait un à un à mesure de leur parution, ou ce recueil de poèmes de Nerval soigneusement couvert d’un papier cristal jauni par quelque bouquiniste et qui vous tint une heure durant sous le charme de ses rimes :

« Il a vécu, tantôt gai comme un sansonnet,/ Tour à tour amoureux, insoucieux et tendre,/ Tantôt sombre et rêveur comme un triste Clitandre ;/ Un jour il entendit qu’à sa porte on sonnait./

C’était la Mort./ Alors il la pria d’attendre/ Qu’il eut posé le point à son dernier sonnet… »

Quel souvenir et quelle reconnaissance au professeur qui m’avait fait un jour découvrir Nerval et tant d’autres qui reposent là, par piles, par rangées, selon leur rang, leur notabilité, leur réputation, leur usage ou leur gloire. Les philosophes tout en haut des rayonnages, allez savoir pourquoi, les romanciers partout, car ce sont des bavards, les livres d’art en bas car ils sont en général très lourds et avec eux quelques vieilles encyclopédies qu’on n‘ouvre plus guère et tous ces dictionnaires qui ont beaucoup servi. Les essais eux s’invitent d’eux-mêmes au fur et à mesure de l’actualité. Ils s’imposent, font les considérables. En voilà des importuns qu’on ne sait jamais ranger à la bonne place !

Et puis tous ces ouvrages marqués de nos intérêts successifs pour les domaines du savoir que nous n’abordons qu’avec peine.

Chacun à sa manière, en fonction de son âge et de ses intérêts, pour autant qu’il aime les livres en a accumulé, en a donnés aussi, mais rien n’y fait, une fois que le pli est pris on accumule. Certains vous diront : mais lisez donc en bibliothèque !

Moi, voyez-vous, je n’ai jamais pu m’y faire ; toujours l’impression de ne pas être à ma place, de ne pas être chez moi, être comme en visite avec la peur de salir les parquets. Un vieux réflexe peut-être et puis le souvenir de la B-U (la bibliothèque universitaire et les années d’études) il y a un moment où l’on ne veut plus être un vieil étudiant, mais tout le monde n’est pas obligé de penser comme moi. Au fond aussi, il y a l’idée d’un trésor, qu’on a cherché, amassé toute sa vie et dont la contemplation rassure.

Observez comme nous sommes négligents ou infidèles ; il aura fallu cette longue période de confinement pour que nous reprenions conscience que la vraie richesse était dans les livres ! Sachant cela, dès que ça ira mieux, nous nous ruerons à nouveau dans les librairies et les bibliothèques comme on se précipite pour boire le vin nouveau ; ce sera un nouveau printemps, même si c’est l’été…ou l’automne. Parlera-t-on alors de rentrée littéraire comme si rien ne s’était passé ?

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