LA PETITE SOURIS DE François PINAULT

La France dépressive envoie pourtant de temps en temps des signaux faibles bien qu’optimistes, car ils ne sont pas de nature à rallier l’assentiment des foules, sur des réussites incontestables dans des domaines d’excellence comme la mode, le luxe ou l’art ; en vérité, là où la qualité de la vie se remarque par un raffinement des mœurs. Et ceci à notre époque comme par le passé. Voici précisément que deux hommes, deux Français, l’illustrent à merveille. L’un, Bernard Arnault, – première fortune du monde devant les dirigeants des Gafa américaines -, qui possède les plus grandes marques de luxe, a fait construire une fondation artistique remarquée au bois de Boulogne à Partis, par l’un des grands architectes américains du moment (Franck Ghery). L’autre, François Pinault, un peu moins haut dans la hiérarchie des milliardaires, a construit un empire qui s’est aussi orienté vers le luxe, possède l’une des grandes maisons d’enchères (Christie’s) et vient d’inaugurer à la Bourse du commerce de Paris le nouveau musée d’art contemporain où présenter sa « collection » d’œuvres d’art dont tout le monde parle, ces jours-ci à deux pas du Centre Pompidou. Dire que ces milliardaires sont partis de peu sinon de pas beaucoup, c’est ne rien dire ou raconter des sagas qui ne font plus rêver de nos jours, mais au contraire font enrager la plupart. Ne provoquons donc personne sur ce sujet.

En revanche, parlons de ce lieu qui, après ceux que cet homme étonnant, a ouverts à Venise (le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana) fait déjà courir vers Paris, les amateurs d’art et curieux du monde entier, et parlons de cet endroit : La Bourse de commerce de Paris, située à côté de l’emplacement où étaient les Halles de Baltard. Elle fut construite comme telle au XVIII° siècle dans forme de rotonde par la prévôté de Paris pour y conserver le blé et elle a connu bien des vicissitudes, incendies et reconstructions avant d’être restaurée par un architecte japonais de talent, (Tadeo Ando) qui lui a adjoint une couronne intérieure de béton gris, laquelle redessine un espace pur pour l’exposition qui commence là avant de se déployer vers les étages. Nous devrions dire pour la représentation tant les expositions d’art contemporain qui se donnent sous la forme   « d’installations » sont en fait des représentations du monde et de l’idée que s’en font les artistes, non plus sur la surface conventionnelle d’une toile peinte, mais en disposant dans l’espace des signes, tantôt sculptures, tantôt peintures, tantôt assemblages en vue de nous inviter à entrer dans leur univers comme hier Le Titien ou Le Caravage nous invitaient à entrer mentalement dans leur tableau.

Soit donc, au centre de ce lieu, une sculpture de plusieurs mètres, posée sur un piédestal monumental qui trône en majesté. L’amateur reconnaîtra là, l’enlèvement des Sabines, une œuvre de l’artiste flamand du XVII° siècle, Giabologna (Jean Bologne). La surprise est de constater (ou d’apprendre) que celle-ci est une copie en cire faite par un de ces artistes à audience mondiale : Urs Fischer, qui non seulement reproduit à l’identique des œuvres de ses prédécesseurs, mais aussi, les transforme, les détériore, ou les anéantit.  Ici, il ajoute des sièges, tant ethniques que de vulgaires chaises de plastiques dans le même matériau de cire et il utilise la particularité qu’à la cire de pouvoir conserver la combustion d’une mèche qui la fait fondre lentement. Ainsi tous ces objets, la statue elle-même comme les sièges, vont-ils se consumer lentement tout au long de ces mois d’exposition jusqu’à ne plus laisser qu’une flaque de cire comme mémoire de ce que furent leurs formes. Pour le coup, voilà qui donne à penser, car cet artiste est coutumier du fait et que son œuvre très originale, très iconoclaste, est fort inspirée de l’esprit « DADA », ce qui n’a rien d’étonnant pour un Suisse.

Alors, que veulent nous dire et l’artiste et son collectionneur lequel inaugure son Centre d’art par ce choix ? Risquons quelques hypothèses : L’art, les formes d’art, les créations artistiques, les artefacts comme les monuments, sont faits pour dépérir, pour s’effacer, pour devenir des ruines. Cela est inscrit dans leur essence. Il n’est guère qu’Horace le poète de l’Empire romain qui osait écrire : » exegi monumentum aere perennius  » (j’ai érigé un monument plus durable que l’airain) ; autre temps, autre vison de l’éternité. Nos artistes et nos contemporains tout court, sont bien plus désabusés et semblent avoir pris le parti de la mort de notre civilisation. Alors autant en faire un rituel, qui soit drôle et beau si possible Tout cela serait bien triste en somme, si en sortant et en longeant la librairie on ne s’avisait qu’au bas d’un mur, une petite souris mécanique blanche (Ryan Gander) creusait son trou et vous fixait de ses petits yeux en tête d’épingle au milieu de débris de plâtre. Certes, ce n’est pas la vieille taupe rouge dont parlait Karl Marx, mais c’est la même chose en plus gai ; allusion à une lente désagrégation qui part du bas et fera tomber le haut. À moins que cette petite souris traduise ainsi « l’appât du grain » en ce lieu qui fut un grand grenier pendant longtemps !

Lorsque nous quittons cette Bourse du commerce qui a vu tant de fortunes se faire et se défaire, nous pensons que le maître des lieux au soir de sa vie a sans doute voulu léguer un lieu et une exposition en forme de méditation à ses contemporains. Et n’est-ce pas là, en fin de compte le but de l’art ?

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