Certains d’entre vous ont capté l’information dans le flot médiatique qui déferle sous nos yeux, d’autres l’auront manqué ou négligé, pourtant c’est de cela que j’ai envie de parler : l’emballage de l’Arc de Triomphe de l’Étoile à Paris, conçu par deux artistes d’art contemporain d’origine Bulgare : Christo, et son alter-égo sa femme Jeanne-Claude, associés depuis les années soixante. il est enfin réalisé un an après la mort de Christo en 2020 par les assistants, ingénieurs et collaborateurs de cette œuvre artistique qui s’est déployée aux quatre coins de la planète en des réalisations extraordinaires : mise ne place d’un rideau de 18 600 mètres de nylon rouge entre les parois d’une vallée au Colorado en 1970, déploiement d’un tissu flottant de couleur rose autour des îlots de la baie de Biscaye en Floride qui vus du ciel faisaient penser aux Nymphéas de Monet, Emballage du Pont neuf (le plus vieux de Paris !) en 1985, emballage du Reichstag à Berlin en 1995 entre autres exploits.
Évacuons les réactions négatives de ceux qu’irrite l’art contemporain et tenons-nous en à la démarche originale d’artistes proches un temps du mouvement des nouveaux réalistes Français, mais portés vers ce qu’on appellera le « Land Art » ensuite, dont ils ne sont pas les seuls représentants, mais dont ils illustrent une voie originale. Soit, la création d’un évènement plastique « in situ » et pour une durée éphémère qui ne se reproduira plus jamais mais dont les dessins, esquisses, photos garderont la mémoire et dont la vente financera le projet. C’est ainsi qu’ils ont procédé toute leur vie. Autant dire que cela ne coûte rien aux deniers publics mais apporte un supplément de notoriété et de de connaissance aux lieux et monuments ainsi mis en valeur.
Le plus souvent, à l’étonnement initial succède l’admiration pour la performance technique et pour cette « beauté de l’éphémère » qui dans un raccourci temporel, efface le réel, le transforme puis le rend intact à son environnement. Toutefois, on peut se demander, une fois l’étonnement passé, quel est le sens, le but dernier quelle est la dimension artistique de ces réalisations en fin de compte ?
Chaque artiste, et c’est là la merveille de la création ne cesse de décliner cette définition qu’Aristote donna un jour à l’art : « c’est ce que l’homme ajoute à la nature ». De cette sorte est l’architecture, la sculpture, la peinture, la littérature, l’horticulture si l’on veut et quantité d’autres choses. Le Land-Art est comme la peinture de chevalet mais à une autre échelle, une façon de nous faire voir le paysage, parfois en y ajoutant quelque chose de décisif, d’autres fois en en extrayant une forme. Emballer le Pont neuf ou l’Arc de triomphe c’est ainsi nous les faire mieux voir, alors qu’ils sont tellement connus qu’on ne les voit plus. Les emballer, c’est les révéler, les magnifier, redonner la mesure de leur forme de la justesse de leur volume en tant qu’œuvre soudain absente du tableau qu’on a sous les yeux. Y ajouter la démesure de l’entreprise (songeons tout de même à ces exploits, à ces milliers de parasols bleus et jaunes déployés simultanément au japon et aux USA pour lequel il a fallu obtenir l’accord de 500 propriétaires terriens et on aura une idée de ces œuvres « inutiles », « gratuites » au sens d’un art gratuit qui sont à la mesure d’une époque marchande où l’homme aura été sur la lune et dans les étoiles porter la technologie à des sommets.
Et ici, tout cela, pour rien ? Pour donner à penser ? Pour la beauté du geste ? Pour la beauté de l’art ? Voilà qui surprend.
Mais est-ce le cas pour l’arc de triomphe ? Ma foi, ce monument n’est pas n’importe lequel pour les Français. On sait que Napoléon à la façon des empereurs Romains qui édifièrent les premiers arcs de Triomphe voulut le faire bâtir pour célébrer la victoire d’Austerlitz. La chute de l’Empire l’en empêcha et c’est la monarchie de Juillet désireuse de réactiver le souvenir de l’Empereur qui le dédia à la Patrie française, celle de Valmy plus que celle d’Austerlitz d’ailleurs, avec ce relief militaire sculpté par Rude qui illustre « le départ des Volontaires » en 1792. Mais ce monument reste inachevé puisqu’il lui manquera toujours le quadrige qui devait le couronner comme celui que Napoléon a volé à Venise couronna celui du Carrousel. Ajoutons encore que la République y enterra symboliquement le Soldat inconnu et y alluma sa flamme perpétuelle à la fin de la guerre de 14/19, le 14 Juillet, jour de fête nationale. C’est donc le haut-lieu du patriotisme Français qui domine les Champs-Élysées et il n’échappera à personne que tous les vainqueurs Français comme étrangers, ont voulu défiler à ses pieds. Il n’échappera pas non plus au souvenir de chacun ce jour de saccage ou des vandales, lors d’une manifestation de « Gilets Jaunes », ont pénétré et dégradé ce monument à l’indignation générale, bien retombée depuis.
Aussi bien, ce grand voile de polypropylène bleu acier, lié par 3000 mètres de câbles qui l’empaquètent peut-il être considéré comme un signe de protection comme on en disposait avec les sacs de sable en temps de guerre sur les monuments, ou comme un voile de deuil du patriotisme Français. J’en viens à penser que l’art est bien utile parfois à raviver la mémoire des gloires comme celle des sacrilèges.