E PLURIBUS UNUM

Il y a deux manières de parler de la culture : sur le mode de l’incantation et sur le mode de la déploration. Au choix, la France possède une grande culture, citations à l’appui, registre traditionnel, ou alors « il n’y a pas de culture française » (E.Macron en 2017). Après ça on aurait pu craindre le pire, mais non, une fois devenu Président ce dernier n’est guère revenu sur le sujet de fond et il faut bien dire que dans la période récente en nommant au Ministère madame Bachelot, ex-ministre de la santé à la culture, il a bien choisi quelqu’un qui convenait au traitement d’une convalescence. Il faut bien avouer que la période du confinement et de ses suites (pass sanitaires etc ;..) a été rude pour le milieu culturel. Reconnaissons que l’État en France a été à la hauteur des circonstances (on a vu à Londres par exemple des chefs d’orchestre devenir chauffeurs de taxi !) Et même, le budget de la culture qui vient à la Chambre des députés pour 2022 annonce une augmentation de 7,5%, la plus forte hausse depuis 2017. Il est vrai que de très grands établissements sous tutelle de l’État ont, faute de touristes comme les musées et grands châteaux, ou de public tout simplement comme à l’Opéra, frôlé la catastrophe. Ces aides ont d’abord pour but de compenser des pertes, de permettre de maintenir du personnel artistique en activité et une reconstitution partielle des trésoreries avant que la machine ne reparte, ce qu’elle fait, mais très doucement. Ensuite il faut financer la seule mesure un peu nouvelle qui ait caractérisé ce quinquennat : le « passe culturel », soit une allocation de 300 € à tout jeune atteignant dix-huit ans, à dépenser en livres, musique, concerts, vidéo, cinéma à sa guise. (200 millions consacrés à cette action l’an prochain).

Pour autant, cette option consumériste est très loin d’éclairer sur la politique culturelle mise en marche depuis 2017. Trois ministres en cinq ans indiquent déjà une certaine hésitation sur la ligne suivie et ce ne sont pas les déclarations diverses sur le sujet qui en diront davantage. Le milieu culturel resta légitimement fort réservé en général dans ses appréciations sur le sujet .

Mais la France a la chance de disposer d’une puissante administration culturelle, d’un budget conséquent gagé pour l’essentiel dans des orientations décidées depuis longtemps, à vrai dire, depuis « l’invention de la politique culturelle » en 1959 par André Malraux, reprenant les grandes idées du Front populaire, politique relancée et amplifié par J.Lang et les socialistes en 1981. Cela fait que les grands axes de la politique culturelle du pays qui concernent le Patrimoine, les grandes Institutions nationales (Opéra, Théâtres nationaux, Orchestres nationaux, Musées, Centres dramatiques ou chorégraphiques… etc), ont été maintenus à flot par un système d’allocations publiques au fonctionnement et à l’emploi, de sorte que ce qu’on appelle « la continuité de l’Etat culturel » a été assurée. 

Est-ce à dire que tout va bien sur le front de la culture ?

On aurait tort de le croire. C’est même sur ce plan que le déficit de ligne et de pensée, sinon de débat est le plus fort. Les Français sont toujours en attente d’une grande politique culturelle et surtout du sens à lui donner pour le pays. Or sur ce plan, il ne s’est pas passé grand chose de nouveau depuis bien longtemps.  Il ne suffit pas en effet de continuer à aider la culture, il faut adosser cette grande entreprise à une vision, une conviction et si possible à un discours qui traite de l’essentiel : de quoi la culture est-elle aujourd’hui l’expression et sur quoi rassemble-t-elle les Français ?

Qui ne voit en effet qu’une fracture culturelle s’élargit chaque jour davantage laissant l’espace ouvert à toutes les démagogies et initiatives les plus inattendues sinon les plus déplorables. Qui ne voit que la cohésion culturelle nationale est atteinte et qu’il manque là des paroles fortes et une vision au plus haut sommet de l’Etat, bien loin de petites phrases ou des bons mots lâchés de temps à autre. Les Français attendent qu’on leur dise quelque chose sur leur manière d’être ensemble dans un temps désaccordé. 

Alors oui, l’essentiel est préservé, l’appareil culturel français est en état de fonctionnement et remplit sa tâche, oui les lieux culturels, cinéma, spectacle vivant, musées, vie littéraire ou musicale fonctionnent notamment grâce à l’argent public de l’État et des collectivités, mais il y a comme une insécurité ontologique et donc culturelle qui tient aujourd’hui au fait d’être Français de toutes les manières, qui angoisse. 

Au début, les choses étaient simples, il y avait un modèle culturel reconnu et tout le problème était de le faire partager au plus grand nombre, on appela cela la « démocratisation culturelle « ; sachons qu’on a tout fait pour la critiquer (on ne voulait plus reproduire la culture bourgeoise !) et la mettre à terre pour la remplacer par « la diversité ». Dernier mantra de la culture vue sous l’angle international. Mais la diversité est un constat et non un programme. Comment faire pour produire de l’un avec du divers ? L’Amérique, une nation de nationalités en son début, en a fait une devise : « E pluribus unum », ! (À partir de la pluralité, faisons une unité). On voit aujourd’hui combien elle-même est à la peine avec ses minorités tyranniques et ses déchirements ethniques. Comme nous sommes depuis longtemps devenus une sorte de protectorat culturel de l‘Empire américain voilà qu’à notre tour nous y sommes affrontés. « E pluribus unum » ! Voilà toute l’affaire. On aimerait bien savoir comment ceux qui nous gouvernent entendent s’y prendre pour réaliser ce programme avant catastrophe. Je ne pense pas, quant à moi que le « passe culturel » y suffise, ni qu’il fasse une politique, loin de là . 

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