QUESTION D’HISTOIRE(S)

Ne faisons pas d’Histoires . C’est ce qu’on entend souvent pour apaiser des tensions, des querelles, des divergences de points de vue : ne faisons pas d’histoires, trouvons le moyen de vivre ensemble sans drames et sans larmes.

Oui mais voilà, on a beau avoir pris ce genre de résolutions, il y a des moments où ça ne marche plus. La maîtresse de maison a eu beau dire à ses invités : « pas de politique ni de religion à table », il arrive que la fin du repas soit orageuse. Et que dire des périodes électorales ? On en a une petite idée déjà à quelques mois d’une échéance cruciale. Pour l’instant ce ne sont que des escarmouches, des noms d’oiseaux, des postures, mais on sent bien qu’on n’est pas loin de l’affrontement. 

Le sujet ? Le pouvoir, l’ambition, le goût du pouvoir ? Pas si sûr, en tout cas pas pour la majorité des Français concernés par cette situation. Longtemps, ce fut simple, on était de gauche ou de droite, il y avait le camp du bien et le camp du mal, le communisme révulsait les uns, enthousiasmait les autres, idem pour le capitalisme et les rôles étaient distribués une fois pour toutes. Aujourd’hui on se pose une autre question : Qu’en est-il de notre Histoire et sommes-nous toujours un peuple historique ? En un mot comme en cent, qu’en est-il de notre identité collective nationale. Le mot comme la chose est tabou car il ouvre la boite de pandore de nos désaccords essentiels. Où en est-on en effet ? 

À ceci, que ce peuple qui se dit « Français », ne puisse le dire sans déclencher immédiatement une querelle d’interprétations diverses. Ce peuple est-il un ou multiple, son unité est-elle d’essence ou de circonstance ? Dès lors que la politique s’en mêle, comment prétendre représenter la France sans dire ce qu’on pense qu’elle est ? On en revient à l’Histoire…de France. Comment en parler ? là est la question. Nos ancêtres qui ont déjà eu ce problème à résoudre ont tenté de le faire avant nous.

Le XIX° siècle en effet a été le grand siècle de l’édification d’un récit national auquel ont participé nos plus grands historiens en vue d’en transmettre la connaissance et l’étude aux enseignants, ce qui fut la grande affaire de la III° République avec l’instruction publique et civique obligatoire et les manuels d’Ernest Lavisse au programme. On appela cela du reste, le « roman national », soit la vision idyllique d’une nation forgée par ses quarante Rois, ses penseurs, ses héros révolutionnaires, ses Présidents, tous représentatifs, du « génie » français, de « l’esprit français », finissant par s’incarner dans une Nation et un État représentatifs de ces qualités et attributs identitaires. 

On sait ce qu’il en advint et comment notre époque contemporaine vécut « la fin des grands récits ». Sans aucun doute en effet, nos guerres continentales depuis 1970 et surtout depuis les deux dernières guerres mondiales et celles de la décolonisation qui ont suivi, ont mis à mal l’estime de soi que se portèrent les Français. Quant à l’enseignement, il remisa bien vite les anciens manuels et l’Histoire de France, avec leurs dates-fétiche (Marignan 1515) apprises par cœur qui disparurent avec le certificat d’études primaire, la liste des départements, la récitation française et le calcul mental.

Je fais un large détour pour souligner le fait qu’il y a en France aujourd’hui « un déficit d’Histoire ». Ne plus avoir d’Histoire « officielle » mais avoir accès à une Histoire « critique ou mondialisée » dispensée par de bons professeurs ne répond guère, ou plus à la question de l’identité. Rien d’étonnant à ce que les prétendants à la plus haute fonction de l’État ne viennent tenter d’apporter une réponse à ce manque ressenti plus profondément qu’on ne l’imagine ou qu’on ne veuille l’admettre. 

C’est le cas de M. Zemmour qui nous livre une vision « Capétienne », c’est-à-dire « nationaliste » de cette histoire en prenant en vue l’État et non la société, en enjambant les faits pour en ressaisir le sens historique et la continuité et en réécrivant « un récit » facile à saisir, satisfaisant pour la conscience de soi et rassurant pour l’identité. On rappellera que ce récit évoque clairement les conceptions de Charles Maurras au siècle dernier, ce que l’intéressé ne nie pas du reste. Mais souvenons-nous aussi de l’audience qui fut celle du candidat Mélenchon qui proposa aux dernières élections un « récit national post-révolutionnaire » quasiment dans l’esprit et les termes de la Troisième République, qui connut une audience remarquable, son talent oratoire n’étant pas étranger à celle-ci. Ces deux personnalités aux antipodes l’une de l’autre ont capté l’attention des Français sur un point essentiel : ils ont proposé une lecture et un discours de l’Histoire nationale qui fait défaut aujourd’hui au débat. Lecture simple ou simplifiée comme on voudra mais qui répond à une véritable attente. 

Les Français, n’est-ce pas assez évident, sont en attente d’un grand discours crédible et valorisant de leur Histoire, qui n’est pas faite que de crimes, d’injustices et de malheurs infligés aux autres. Souvent, le silence des maîtres d’école ou leur peu d’ardeur à affirmer la continuité d’un récit national par peur de déplaire, de choquer, d’endoctriner, a laissé la place au doute de soi, le pire des doutes. Peut-on parler d’Histoire, enseigner l’Histoire sans en passer par le récit ? C’est toute la question. À défaut, les télévisions suppléeront à l’école. 

À partir de quel moment faut-il cesser de romancer pour éveiller l’esprit critique est une question pédagogique fondamentale. Le résultat, on le voit bien, est que sans culture historique, les raconteurs d’Histoire (ce n’est pas péjoratif) l’emporteront toujours sur les autres. Malgré tout, les Français, comme d’autres grands peuples, attendent qu’on leur raconte une histoire qui soit la leur et dans laquelle ils se reconnaissent. Bien plus, ils attendent un consensus sur ce point. Tous les hommes et femmes politiques devraient réfléchir à ça.

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