Ce Pape « diversitaire » et compassionnel.

Ce Pape venu du continent américain n’en finit pas de secouer sa communauté en rebattant les cartes d’une Église longtemps euro-centrée. Il donne l’impression de ne pas lire le monde comme le lisaient jusqu’ici les Européens, indifférant à leur égard, minorant ce qui les effraie, bouleversant leurs codes et leurs références. On comprend bien qu’il a pris acte de la mondialisation et veut y adapter l’Église d’aujourd’hui. Or c’est bien cette mondialisation des échanges des marchandises et des hommes qui préoccupe les Européens que nous sommes, lesquels s’ils en ont bien vu les avantages, en mesurent aussi chaque jour les conséquences.

C’est dans cet éclairage qu’il faut tenter de comprendre le sens de son dernier voyage en méditerranée. Payant de sa personne, il se livre à un plaidoyer sincère pour un malheur immense. Son intérêt pour les migrants n’est pas feint, on le voit, mais ne distinguant pas entre immigration de survie et immigration de peuplement, il donne le sentiment de ne pas se soucier outre mesure des conséquences à long terme de ces flux migratoires pour la civilisation occidentale européenne, ou plutôt il semble en avoir pris son parti. Mieux, il désigne l’espace méditerranéen, ce creuset civilisationnel des échanges qui ont fait l’Europe comme le lieu par excellence de cet avenir « diversitaire ». 

Voilà bien longtemps qu’on n’avait plus parlé de ça. On se souviendra que le Président Sarkozy avait un temps proposé l’esquisse d’une politique euro-méditerranéenne, mais aussi que les Allemands lui ont bien vite fait comprendre que leur intérêt était à l’Est et qu’ils ne le suivraient pas sur cette voie. Madame Merkel, quelques années plus tard, lors de la crise migratoire de 2015 changera d’avis sans plus de concertation, en accueillant un million de migrants dont un certain nombre, ne resteront pas en Allemagne, comme on sait.

Or ce que dit le Pape est différent. Outre son éloge de la diversité qui est bien le code majeur de la mondialisation et sa logique circulatoire, il redessine une carte (on n’ose dire un territoire) dont le centre est la mer métisse par excellence, la méditerranée, à la fois tombeau et résurrection des espoirs d’une aire de civilisation en crise.

C’est là en effet que l’Occident est né, là que sont apparues et combattues les grandes religions monothéistes, ce qu’elles font encore sur fond de misère, de guerre et de désespoir au Moyen-Orient, C’est là que la philosophie en tant que telle est née à une époque où la Grèce d’Alexandre allait jusqu’à Ninive, Damas et Alexandrie dans ce quadrilatère qui était bordé par le Nil, l’Euphrate, le Tigre et l’Indus. C’est à partir de la méditerranée que l’Empire romain et aussi l’Empire Ottoman ont rayonné vers l’Europe et vers l’Afrique. C’est là que les langues majeures de l’antiquité, grecques, latines (mais aussi arabes), ont forgé les représentations que les hommes se faisaient de leur destin.

Ce qu’il dit mérite donc du temps et de la réflexion pour être apprécié.

Le Pape, c’est évident, enjambe les difficultés du présent et considère que les migrations ressenties comme destructrices de la cohésion européenne ne feront que combler les vides de son déficit de population prévisible dans un mouvement démographique vertigineux que rien n’arrêtera sauf les pandémies peut-être ? Nous dépasserons sûrement les dix milliards d’humains sur la planète avant la fin de ce siècle et combien en Afrique à nos portes . Nous ne pourrons plus raisonner longtemps comme des forteresses assiégées. C’est une certitude.

Il y a là, incontestablement une vision. « Vous êtes immergés dans la méditerranée dit-il (utilisant là une étrange et tragique métaphore), dans une mer d’histoires différentes, qui a bercé tant de civilisations…la méditerranée est la « mare nostrum » la mer de tous les peuples qui l’entourent pour être reliés et non divisés ». Il a peut-être raison, mais ce qu’il n’évoque pas, c’est le prix à payer du passage vers cet état nouveau du monde qui angoisse tellement les peuples européens, saisis par la peur de perdre leurs identités nationales et leurs modes de vie dans la perspective de cette déferlante. Il n’évoque pas non plus le rôle des religions et singulièrement l’Islam dans la déstabilisation du sud de la méditerranée. 

Néanmoins, vu à l’échelle des siècles ou des décennies, il n’est pas absurde non plus d’esquisser cette nouvelle perspective mondialisée. 

Qu’une autorité religieuse prenne parti non seulement en termes d’éthique et de compassion humaine pour la souffrance mais en termes de géopolitique doit nous interroger. Ne fait-il pas ce que les Européens ont tant de mal à faire eux-mêmes ?

Compte tenu de ce que nous vivons et de ce que nous savons, cela dessine un avenir proche qui sera fait de tensions, de guerres peut-être, de drames sûrement car l’Histoire – (et là, c’est Marx qui le dit) -, n’accouche de son avenir que dans la violence. Que le pasteur des chrétiens semble l’appeler de ses vœux, n’est pas le plus surprenant de son message évangélique. 

On se dit parfois comme pour ces parents un peu trop complaisants ou compatissants, qu’ils ont pour leurs enfants un amour de faiblesse.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *