COUP DE COLÈRE

Peut-être êtes-vous comme moi, heureux de parcourir les salles d’exposition des musées lorsque l’occasion s’en présente ; sans doute considérerez-vous qu’avoir vu de près une œuvre de Van Gogh, Gauguin, Monet, Cézanne ou mieux encore Léonard de Vinci, Raphaël, Soulages peut-être, est une chance, un bonheur, l’occasion de voir enfin un chef d’œuvre dont le nom nous est familier et l’œuvre étrangère, tant que nous n’en avons pas fait la rencontre directe.

Je dis « sans doute », mais je n’en suis plus aujourd’hui très sûr, depuis que j’ai vu des « zozos », comment les appeler autrement ! jeter sur ces toiles (heureusement protégées de vitres, et même de vitres blindées pour la Joconde), de la soupe, des ingrédients divers, de la colle, que sais-je encore…saisissant le prétexte de la peinture à l’huile pour protester contre l’usage et l’extraction des énergies fossiles qui polluent la planète.

On a là, une belle brochette d’agitateurs, jeunes la plupart du temps, siglés et attifés comme il faut qu’on les reconnaisse, portant des Teeshirts où est inscrit le motif de leur résistance (un bien grand mot à l’heure de la guerre en Ukraine !) Resistance à quoi ? Au pouvoir en général, à la société industrielle, à l’économie-monde et tout ce qu’on voudra.

Comme si la cause qu’on veut défendre libérait de tous les interdits, justifiait tous les excès avec une bonne conscience consternante de ce qui est bon et de ce qui est mauvais tout en faisant fi de l’opinion des autres et des règles de droit ou de démocratie élémentaire.

Car on est bien d’accord sur le fond, ce n’est la cause défendue qui est critiquable, mais la méthode qui nuit doublement à son objet et à l’art. Quel respect voulez-vous avoir pour un mouvement dont la méthode est l’irrespect ! Et puis nos pays européens ne sont-ils pas déjà plus soucieux que d’autres de remédier à ces maux qui affectent notre planète ? Faut-il en rajouter dans la provocation sans conséquences ? Chacun sait que ce genre de manifestations n’est possible que dans ces démocraties tolérantes et pacifiques qui sont les nôtres, et que là où la pollution est la plus grande, nul ne s’aviserait de jouer au petit malin sachant ce qu’il en coûterait pour ceux qui se livreraient à ce genre d’exercice.

Et voilà ce qui explique le désolant spectacle qui permet à certains de se payer un petit moment de gloire sur les réseaux de communication du monde entier, un petit scandale sans conséquence, un petit exploit qui attire un instant les caméras et qui n’intéresse que ceux qui s’y livrent. Mais Van Gogh, Cézanne, Vinci, Botticelli, d’autres encore ? Qui s’en soucie vraiment ? Leur nom est connu, leurs œuvres aussi parfois, mais leur mise en péril, qui cela intéresse-t-il vraiment ? Continuons comme ça et il faudra bientôt mettre toutes nos œuvres sous verre dans les musées ! Mais la peinture elle-même qui intéresse-t-elle ?

Êtes-vous allés dans ces grandes expositions qui drainent des foules ? Avez-vous vu le comportement de la plupart des gens qui se bousculent, se précipitent devant les tableaux avec leurs smartphones, prennent l’image en photo comme des voleurs et s’éloignent sans regarder ? C’est bien là notre monde, un monde de moutons et de loups, les uns suivent, les autres mordent ou dévastent ; mais qui s’intéresse encore à la peinture (puisque c’est de cela qu’il s’agit ici) ! La peinture à l’huile dans laquelle on a dilué les pigments colorés, il n’en faut pas plus dans une toile que pour cuire un œuf ! Mais qu’importe, c’est le symbole et le prétexte, une affaire de communication.

En vérité, nous n’avons plus le sens du sacré, la chose ne s’arrête pas aux musées et lieux de culture, elle touche aussi aux lieux de culte, aux églises qu’on vandalise, aux cimetières qu’on profane, et à tout ce qui représente une valeur pour le monde d’où nous venons.

Nous n’avons plus besoin, d’art, de religion, de musées peut-être, nous sommes devenus autosuffisants et suffisants tout court. Un écran nous suffit pour avoir le sentiment d’exister.

Désajustés, errants, comédiens sans texte, musiciens sans partition, acteurs égarés fascinés par notre image, nous commettons des crimes civilisationnels de manière distraite et il ne nous viendrait pas à l’esprit de nous demander si, en attaquant ou détruisant un tableau nous ne sommes pas en fait sortis de l’humanité des hommes pour passer dans un autre monde, virtuel celui-là, par la porte de la sottise et de l’ignorance. Comme aurait dit en son temps mon vieil instituteur : mais quelle est donc l’utilité de l’école, si elle n’a pas d’abord appris à aimer la culture et les œuvres d’art ?

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *