BON APPETIT MESSIEURS !

Le monde entier, je veux dire le monde médiatique et tous ses affiliés, le monde des réseaux et ses « followers », le monde politique, le monde des observateurs, des clients, des spectateurs, des badauds, des sachants et des ignorants, le monde réel et virtuel enfin était tourné ces derniers jours vers la capitale de l’Amérique où se déroulait la cérémonie d’installation, du plus baroque, du plus étonnant, du plus surprenant, et à bien des égards du plus accablant pour beaucoup, le nouveau-ancien président des États-Unis d’Amérique.

Moins assidu que d’autres à l’évènement, je dois dire, mais néanmoins curieux en fin de journée de voir et de savoir, j’ai regardé le reportage et entendu des choses en particulier qui m’agacèrent les tympans : cette diatribe inutile  et verbeuse, ces propos de ressentiment et de vengeance d’une inélégance rare par rapport aux dirigeants précédents et en leur présence, cette volonté de ne vouloir en aucune façon remercier comme c’est l’usage, mais au contraire, accabler, humilier, effacer du tableau d’honneur de l’Amérique les dirigeants précédents me causa un sentiment d’accablement.

Contrairement aux meilleurs usages, cette cérémonie tournant à l’exhibition histrionesque du pouvoir laissa bien des observateurs, perplexes à tout le moins, sinon inquiets ou davantage. Mais les amateurs de Théâtre purent se réjouir, car ils avaient là devant les yeux l’une des meilleures représentations de la pièce écrite par Alfred Jarry, à la fin du XIXe siècle qui connut alors et depuis, un très grand succès : UBU ROI.

Ce personnage d’UBU avec sa grosse gidouille dessinée sur le ventre et son chapeau évoquant les inquisiteurs ou les membres du Klu-Klux-Klan, armé d’un « bâton à « phynances », et se disposant en arrivant au pouvoir à user précisément des grands moyens pour accaparer toutes les richesses du pays surgit soudain dans ma mémoire. Ce tyran à la jactance inépuisable qui réclamait qu’on lui servit tous les jours de l’andouille et parfois même de la « merdre » (le mot fit fureur dans les salles de classe et bien au-delà et il est inscrit au patrimoine mondial de la drôlerie) fit alors irruption dans notre imaginaire. Les puissants de l’époque étaient les nobles qu’il fit tomber dans les sous-sols des « pince-porc » et de la « chambre à sous » où on les décervela. Plaisante expression que celle-là dont on ne voyait pas à l’époque à quoi vraiment elle correspondait, mais dont on comprend très bien aujourd’hui avec la puissance des réseaux d’information et l’existence des « fake news » à quoi elle renvoie. Tout puissant de ce monde on le sait, est en capacité de décerveler efficacement et de manière parfaitement indolore ses administrés et au-delà. 

Cet UBU qui voulait envahir la Pologne pour s’emparer de la « pompe à phynances » dût reculer devant l’attaque des Russes et embarquer pour la France, avec l’espoir de se faire nommer « maître des finances » à Paris.

Je ne sais pas si le poste aujourd’hui ferait tant envie que cela, mais la création de ce personnage, à la façon de Molière, et de manière bien plus outrancière certes, aura fait beaucoup rire pendant tout le siècle dernier. Aussi ce Père UBU, traître, lâche, naïf, bête, goinfre, méchant et cupide n’a, disons-le, aucun rapport ni de près ni de loin avec le nouveau maître du monde et sa cour, cela va sans dire.

Pourquoi l’évoquer alors me direz-vous ? Sans doute parce que nous autres Français, nous avons l’esprit mal tourné, et que rien ne nous amuse tant que la caricature, mais n’insistons pas trop dans cette voie, la presse locale on s’en doute, est bien plus modérée que ne le sont ou le furent Charlie Hebdo ou Hara-kiri.

Mais au fait, qui se souvient encore d’Alfred Jarry et de son père UBU ? Ne sont-ils pas eux aussi déjà passés à la trappe ? Comédie pour comédie, si l’on cherchait dans le répertoire anglais, on trouverait Shakespeare avec ses Rois saisis par la folie du pouvoir qui dans leur démesure dépassaient en cruauté et en cynisme le père UBU. N’est-ce pas ce dramaturge qui écrivit ceci : « homme, O homme vain, drapé d’un peu d’autorité tu joues devant les cieux de si grotesques comédies que tu ferais pleurer les anges » !

La pensée m’en est venue aussi en regardant cette exposition en forme de tableau de famille des « Beautiful People » alignés sur une estrade comme la famille royale anglaise sur le balcon de Buckingham Palace, les jours d’intronisation royale. Il ne manquait que le carrosse doré dans les rues de Londres, mais en cette période à Washington, la météo particulièrement glaciale rendait tout cela improbable au point que si on en eut tenté l’expérience, tous ces personnages se seraient trouvés à l’arrivée parfaitement congelés comme les visiteurs de Dracula dans le traineau du film de Polanski : « le bal des vampires », ce qui n’aurait pas manqué d’allure et leur aurait assuré une immortalité de cire chez « Madame Tussauds » ou au « Musée Grévin ». Mais je me laisse aller là à des digressions où bientôt l’on ne va plus me suivre.

Revenons au réel comme dirait un mien ami. La suite sera ce qu’elle sera, nous n’en sommes qu’au prologue et à la scène d’exposition, à l’ouverture comme on dit à l’opéra. Ce drame n’a pas encore commencé, on nous a simplement présenté les personnages : les puissants, les influents, les courtisans et les bouffons, les milliardaires qu’ailleurs on appelle oligarques, les protagonistes, les premiers et les seconds rôles, les jeunes premiers et les vieux barbons, bref tout est en place pour la représentation mondiale sous l’œil impitoyable de la société du spectacle et ses réseaux omniprésents. La cérémonie des décrets étant en soi une sorte de hors-d’œuvre dans ce banquet de la reprise des intérêts et du capital dont on n’a pas encore mesuré toute l’ampleur ni les conséquences.

Que dire alors, sinon cette réplique définitive qu’emploie Victor Hugo, dans Ruy Blas lorsque ce dernier s’adresse aux grands d’Espagne dans la pièce éponyme : 

« Bon appétit Messieurs » ! vous connaissez la suite.

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *