À la fin de l’année dernière j’ai regardé mon petit-fils captivé par un jeu électronique qu’il avait fallu de toute force lui offrir à Noël, car c’était son plus grand désir et, m’approchant de lui, je voyais défiler sur l’écran de la télévision, des hommes en armes et en treillis qui combattaient dans des ruines de villes détruites par les bombes ou les attaques militaires. Le jouet dans ses mains lui donnant la capacité de déplacer ses personnages combattants, de déclencher des explosions, de tirer à l’arme lourde, de faire voler des drones meurtriers, chose à laquelle il prenait apparemment grand plaisir.
Je songeais alors en le regardant qu’à son âge ou à peu près, plus jeune sur sans doute, nous jouions aux indiens et aux cow-boys, déjà une histoire issue de l’imaginaire américain ! L’industrie des loisirs, les jeux d’arcade et ce qu’on appelle les jeux électroniques, ont fait beaucoup mieux depuis et beaucoup plus réaliste.
Par un concours de circonstances auxquelles nous sommes habitués maintenant, les informations télévisées du soir auxquelles j’ai eu accès après avoir parlementé avec mon monopolisateur d’écran, diffusaient des images de la guerre en Ukraine. Ce qui ne frappa alors ce fut de revoir les mêmes scènes, les mêmes combattants en treillis, les mêmes course-poursuite, les mêmes explosions, les mêmes visions de drones qui, du haut de leur caméras détruisaient pour de bon des cibles humaines, à tel point que j’eus le vertige ; il n’y avait plus de distance entre le réel et l’imaginaire, entre le jeu et la tragédie, autrement dit, plus de distance entre le jeu et la guerre, sauf que la mort était là bien réelle.
La chose, je dois dire me plongea une grande perplexité. Nos enfants avaient basculé tranquillement dans le monde nouveau et pourraient être appelés sur les champs de bataille sans changer d’outils.Terrible apprentissage !
Je me disais, lorsque ces jeunes comprendront que la guerre n’est plus un jeu, il sera trop tard. En Ukraine en effet, la guerre allait sur son quatrième printemps et le désastre continuait : trop de morts déjà, trop d’armes ou pas assez, et une paix qui tardait à venir.
Chacun voulant la trouver et avec elle la sécurité, mais à condition de tracer une fois encore des frontières garanties. Mais où passerait la frontière ?
Voilà une question qui s’est posée à l’Est de l’Europe depuis des siècles. Vous me direz que sur les autres côtés il y a l’océan ou la mer et que ça simplifie les choses, mais à l’Est il y a toujours eu le fantasme des Empires. Or ce que l’histoire nous apprend c’est que ce ne sont pas les traités qui tracent les frontières mais les rapports de force qui comme en physique marquent les équilibres provisoires.
L’Europe vient de s’en rendre compte brusquement et observe comment on va décider de ses frontières. Cela va se passer sans elle et loin d’elle. Les nations se cherchent des protecteurs et ne trouvent que des maîtres qui les laissent à la porte lorsque les choses sérieuses commencent, elles viennent d’en avoir la démonstration cinglante par une nouvelle humiliation subie à Munich. Décidément, cette ville comme en 1938, est un endroit qui délivre des signes inquiétants pour l’avenir.
Où est l’Europe ? « De l’Atlantique à l’Oural » avait dit De Gaulle en un autre temps. Il ne croyait pas si bien dire. L’Europe n’est plus un cap comme l’imaginait Valery, c’est une noix entre les mâchoires d’une tenaille. Un temps, le communisme à l’Est aujourd’hui redevenu le Tsarisme, et de l’autre côté, le capitalisme, qui, après avoir été mondialisé, tente de se renforcer dans son pays d’origine, avec toujours cette prétention à dominer le monde. Entre les deux non, une puissance mais un marché et une mosaïque d’États en quête de protectorat. Encore une forme, mais pas une force.
En renversant la table, Trump a démoli le puzzle constitué par l’Histoire. Il faut maintenant le reconstituer. Équation difficile pour nos élites frottées d’anglophilie et d’Américano tropisme, formées aux meilleures universités d’Outre-Atlantique où elles confondirent allègrement progressisme High-tech et Wokisme, ahuries de se voir soudain congédiées ou vassalisées et de plus, ayant payé pour l’être.
Ce tropisme Nord- Atlantique, revisité par le réalisme politique de nouveaux maîtres fut un sacré coup sur la tête pour les Européens. Le sentiment de n’avoir joué au fond que les utilités, un rôle de supplétifs dans une partie truquée.
Les politiques vexés, mais impuissants se trouvant « de facto », exclus du tour de table, comme à Yalta hier, mais sans un De Gaulle qui avait quand même réussi à poser son képi entre Staline et Roosevelt plus tard avec la complicité de Churchill. C’est ce qui explique sa rancune tenace vis à vis de l’Amérique et sa décision de doter la France de l’arme nucléaire.
La France vient de comprendre que même si elle a un siège au conseil de Sécurité celui-ci ressemble de plus en plus à un strapontin. Ainsi se clôt par un dernier acte le XXe siècle. Cette clôture se sera faite en une génération. Voici venu le temps de la prise de conscience. Le temps de se demander si le sentiment d’appartenir encore à une vieille civilisation sera suffisant pour un réarmement moral avant d’être politique et militaire. Les plus lucides, se désespèrent de voir la France en revenir au régime des partis, à l’impuissance politique, aux fractures sociales qui n’augurent rien de bon dans un monde revenu aux réactions primaires.
Peut-on encore rêver d’un autre avenir ? Ma foi, ça fait des décennies qu’on s’y emploie.