Ils s’y sont tous mis, les élus, les écolos, les décideurs. Vous avez remarqué ces pistes cyclables qui sillonnent la ville en pointillés, de sorte qu’on se demande comment on relie les allées balisées et celles qui ne le sont pas. Enfin, tout cela c’est « tendance » comme on dit et on est prié d’approuver même quand on avance à la queue leu-leu, à un à l’heure en période de pointe, et qu’il n’y a personne qui roule sur les pistes cyclables si bien tracées à côté. Curieux tout de même, il n’y a pas si longtemps on avait vu la politique des « Vélib » se casser la figure par manque d’enthousiasme des citadins. Et voilà que ça repart. De toute façon le but est de mettre la voiture hors d’état de polluer.
Bon, moi je veux bien et je suis prêt à mettre mon casque de cycliste en polyurétane à trous, tellement léger que je me dis qu’en cas de chute, je ne suis pas certain de mon affaire. Car c’est bien gentil, le vélo, j’en ai fait et j’en fais encore parfois, mais slalomer entre les voitures et les trottoirs à mon âge me fait craindre le pire. Et il n’y a pas que des adolescents et des « bobos » dans une ville, il y a d’autres usagers. Vous me direz qu’il y a le bus électrique. Certes, mais l’avez-vous pris ? Il fait tristement la même boucle avec les mêmes gens, à se demander si ces derniers ne le prennent pas pour faire un tour et non pour aller quelque part. Enfin, ce que j’en dis…
En vérité ce qui me met en pétard, c’est que j’ai passé cet été mes vacances en un lieu où tout le monde allait à vélo et de surcroît où les pistes cyclables étaient bien balisées. J’ai eu du reste une impression de l’été 1936 au temps du Front Populaire dont les photos sont connues : premiers congés payés, tout le monde sur les routes, mais à l’époque moins d’automobiles qu’aujourd’hui on s’en doute. Sympathique ambiance, en outre, c’était l’époque du Tour de France alors il fallait compter avec les sportifs équipés comme on n’ose pas l’imaginer tant la technologie a fait des progrès et pédalant sur des machines à quelques milliers d’euros. Rien à voir avec le vieux biclou des vacances à la campagne !
Finalement je me disais que les vélos en été c’était bien chouette et sympathique. Mais j’oubliais une chose.
Sur les vélos, il y a des cyclistes, et voulez-vous que je vous dise, je ne suis pas loin de penser que la plupart sont des automobilistes honteux ou repentis à voir avec quelle hargne ils traitent les autres automobilistes, même roulant au pas. Et ils vous passent devant, derrière, de côté et ils brûlent les feux rouges, et ils freinent sous vos roues et ils vous « engueulent » : « Pouvez pas faire attention, non » ! « Z’avez pas vu le panneau : piste cyclable » ! « Abruti »! N’imaginez pas le cycliste comme un être doux et pacifique roulant dans des décors virgiliens et souriant à son monde. Non, sourcils froncés, il fonce le nez sur le guidon avec femme et enfants souvent, et à plusieurs sur deux ou trois rangs, carillonnant de leurs petites sonnettes et vociférant si par malheur on obstrue le passage. Vous vous frottez les yeux. C’est donc ça le monde du vélo ?
Eh oui, c’est ça dès qu’il y a du nombre, il y a encombrement, dès qu’il y a encombrement, il y a énervement. Un cycliste rencontré en forêt ou sur une petite route, seul ou même en petit peloton, c’est en général un être sympathique avec lequel on a envie d’échanger deux mots, mais imaginez la meute dans une station balnéaire par exemple, ce ne sont plus les mêmes. Je viens de découvrir quelque chose cet été, je vais vous dire : les cyclistes, ce sont des Français à vélo.
Voilà la chose : des Français, râleurs, mécontents. Vous aurez remarqué que les Français (vous et moi bien sûr) sont toujours mécontents de quelque chose, là c’est du fait que les autres aussi sont à vélo. Au fond, ce peuple démocratique, le nôtre, si friand d’égalité , n’aime rien tant que les privilèges, et la route est un privilège, celui d’aller et venir. Il faut donc que la route soit à moi, que les interdictions soient pour les autres. Le Français est de l’espèce intransigeante. Dès lors que je suis là, j’y suis prioritaire. Vrai ou faux, peu importe. On mesure la pollution au degré de CO2 émis par les gaz d’échappement, je propose qu’on mesure l’indice de pollution civique par l’évaluation de la mauvaise humeur. Ça nous donnerait une idée.
J’ai donc essayé la marche à pied, pas mal aussi la marche à pied. Mais que croyez-vous ? Là aussi des vélos, des vélos partout : « eh poussez-vous, vous voyez bien que vous gênez, vous êtes sur une piste cyclable ! » Ah pardon, mais où marcher alors puisque à côté c’est réservé aux automobiles. Asseyez-vous sur un banc et regardez passer l’époque.
Pas mal comme philosophie, c’est ce que j’ai décidé de faire. De toute façon, il me fallait un sujet de chronique de rentrée. Or on sait que le sentiment dominant pour une rentrée est toujours la mauvaise humeur, du reste on ne s’y trompe pas, les syndicats appellent déjà aux premières grèves, enfin soyons justes, ce ne sont pas les premières manifestations car désormais celles-ci se tiennent à jour fixe, été comme hiver en période ouvrée comme en période de vacances. Soupape de sécurité démocratique sans doute pour un pays en constante surchauffe. Alors, dans un tel contexte, j’ai bien le droit de passer mes nerfs sur le vélo moi aussi, non ?