Chacun dans son rôle : nous avons enfin entendu le président de la république déclarer que : « la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire et ne déboulonnera pas de statues ». Enfin une parole sensée se dit-on, et qui vient à son heure. N’avait-on pas vu déjà, cédant à un emballement très franco-français, des personnalités médiatiques, politiques, et même un ancien Premier ministre appeler au déboulonnage des statues et faire de l’anticolonialisme, à rebours des priorités du moment, un combat national d’arrière saison. On lit dans « Le monde » un appel solennel au Président de la république à débaptiser le salon Colbert de l’assemblée nationale. On voit bien que s’il n’avait été mis un arrêt tout aussi solennel à cet emballement, où tout cela aurait pu nous entraîner : clairement à une de ces batailles symboliques cachant leurs véritables intérêts et qui sont la solution imaginaire des problèmes réels !
Que la France ait un problème avec ses minorités (de plus en plus tyranniques du reste) est une évidence, qu’elle songe à y remédier est une chose, qu’elle le puisse facilement dans un contexte connu de chômage et de difficultés d’insertion par le travail permet aussi d’en mesurer la difficulté. Ce n‘est pas pour autant qu’elle doit faire droit à une culpabilité que les beaux esprits, confondant politique et morale, voudraient faire prospérer, ajoutant du doute et de la honte au fait d’être français à un moment où il faut en France retrouver une cohésion nationale de toute urgence. Un grand peuple ne peut vivre sans fierté, ni puiser sa fierté dans la repentance infinie, quelque crédit moral qu’il en retire.
On le voit bien avec cette dernière épreuve du Covid19 où la méfiance des uns contre les autres l’emporte sur le courage de faire front alors que les plaintes s’accumulent en justice pour prouver l’impéritie de notre gouvernement. La vérité est que la France perd peu à peu confiance en elle-même et se vit dans la déception de n’être plus ce qu’elle pensait qu’elle était : une grande puissance donnant des leçons au monde.
Mais nous avons tant fait de procès en culpabilité collective que l’estime de soi de notre pays et de ses habitants qu’on juge ailleurs arrogants et fanfarons, cache en réalité une déprime collective que les divers mouvements sociaux qui s’enchaînent traduisent à leur manière avec régularité.
Alors, ajouter là-dessus, l’affaire des statues à abattre vient comme de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, c’est pour complaire aux descendants des peuples colonisés (en confondant au passage bien souvent colonisation et esclavage), demain ce sera autre chose, les causes ne manquent pas. Il n’y aura bientôt plus une seule statue dressée sur une place publique qui ne fasse offense à quelque groupe qui s’en sente agressé.
Le fond de l’affaire est que peu à peu, l’Histoire de France fait place à une pluralité d’Histoires, chaque communauté déniant à l’Histoire nationale le droit de raconter l’Histoire à sa place. Cela ne date pas d’hier, mais d’avant-hier et il n’est que de se reporter à « l’Histoire mondiale de la France » récemment publiée pour se faire une idée de ce à quoi nous assistons déjà.
Le XIX° siècle, qui fut celui des nationalismes certes, nous légua une Histoire de France chronologique qui permettait au peuple français de croire en son roman national, à sa valeur et à son destin. Le travail des historiens au XX° siècle a instillé un doute intellectuel salutaire et a relativisé certaines affirmations péremptoires de Michelet ou de quelques autres, mais la France vaincue de 1945, accusée de collaboration et bientôt de crime colonial vit depuis cette époque, et malgré le sursaut moral du gaullisme, une sorte de dépression profonde qui secoue son peuple en des crises qui ne font qu’aggraver le mal. Seul un grand pays, sûr de lui et de ses valeurs peut encore fédérer et rassembler son peuple. S’il se divise, s’il fait droit à toutes les revendications, il ne retrouvera jamais la force qu’il lui faut pour faire face au monde qui vient.
Alors, abattre les statues, c’est un peu comme ce qu’en dit Malraux dans « les Chênes qu’on abat », il y faut un seul coup de hache, mais à un chêne, il faut des siècles pour pousser ses branches vers le ciel. La dernière fois que la France dans une folie iconoclaste s’est mise à abattre des statues en masse, ce fut à la Révolution : saccage de la crypte des Rois de France à Saint Denis, projection dans la seine des statues de Notre Dame, martèlement des statues dans les églises et les cathédrales etc…ce que l’Abbé Grégoire appellera : « le vandalisme » devant la Convention qui, après l’avoir encouragé, y mettra un terme en 1794, est malheureusement un moment d’histoire tragique, mais ce sera aussi le moment où l’on inventera le concept de musée des monuments français qui permettra de trouver le moyen de protéger et conserver ces trésors d’histoire et de culture. Ainsi est né le concept de Patrimoine national, auquel les Français sont justement attachés. Certes, le déboulonnage n’est pas encore du vandalisme mais peut y conduire, comme on l’a vu dans une manifestation de gilets jaunes lors de la dégradation du monument au maréchal Juin, place d’Italie.
Saluons donc la sagesse élémentaire d’un Président qui a dit, clairement dit, non à ce qui pouvait nous entraîner très loin. Et espérons que ce non soit définitif !