On se souvient des dix grands chantiers lancés par le Président Mitterrand (dont la pyramide du Louvre est peut-être la réalisation la plus connue), pour accompagner son règne. On se souvient du Musée du Quai Branly où Jacques Chirac fit abriter sa passion pour les arts premiers, et on se souvient aussi du centre Pompidou évidemment. Toujours les Présidents eurent pour souci de laisser une trace qui marque leur passage au pouvoir. Le Président Sarkozy avait bien lui aussi, marqué son désir de construire « une maison de l’Histoire de France » à vocation de musée, mais les oppositions multiples et énergiques avaient contrecarré ce projet qui devait se faire à l’Hôtel de Soubise que les Archives ne voulurent pas lâcher, et le projet échoua à la fin du quinquennat.
Le Président Macron ne déroge pas à la règle et son seul projet connu, en voie de réalisation du reste, est celui de la « Cité de la langue française » au château de Villers-Cotterêts ». Ce bâtiment en mauvais état, situé non loin de Paris, dans l’Aisne est connu pour être celui où François 1° signa une célèbre ordonnance sur l’usage du Français dans le royaume, faisant obligation en 1539 d’utiliser le français à la place du latin dans tous les documents administratifs et judiciaires. On date même de ce moment (1539) l’officialisation de la langue française dans la cour et le royaume de France avant que le Français ne devienne dans la constitution cette fois, la langue officielle de la République (article 2 ajouté en 1992).
La question était cependant à l’époque loin d’être tranchée. Certes la dynastie des Valois était francophone, mais avant eux, les rois de France avaient parlé d’autres langues, on sait que les Carolingiens ou les Mérovingiens étaient germanophones. Or si le roi François 1° parle le français, son entourage et son administration rapprochée s’expriment en latin, c‘est pourquoi, l’ordonnance revêt une grande importance, elle est une décision royale, comme le fait de décider des grands travaux par nos princes élus, monarques de fait, de la V° République comme on sait.
De plus, la formule employée par François 1° vaut la peine qu’on la relève, car il écrit ou fait écrire que tout doit être désormais rédigé « en langage maternel français et non autrement ». Ce « non autrement » aura du mal à passer au fil des siècles lorsque les tenants des langues régionales se mettront à ferrailler sur le plan des principes contre l’exclusivité du Français comme langue officielle de la République. Mais là est la difficulté qui explique que le débat sur les langues régionales n’est pas clos mais que les divers gouvernements ont eu jusqu’ici toujours eu beaucoup de mal à imposer la pluralité de la légitimité des langues. C’est pourquoi la France n’a toujours pas ratifié la charte européenne des langues régionales et minoritaires.
Cette disposition de Villers-Cottrêts née d’un édit royal au départ fut adoptée et défendue par les Conventionnels de 1789 et par ceux de la République ensuite. Pas de plus grands défenseurs du « non autrement » que ces révolutionnaires (« la réaction parle bas-breton » disaient en chœur l’Abbé Grégoire et Bertrand-Barrère). Les Hussards noirs de la République, les instituteurs de la III°, ne disaient pas autre chose en éradiquant les patois pour faciliter la promotion de leurs élèves en leur permettant de maitriser la langue officielle pour réussir dans la vie.
Mais si la décision initiale fut monarchique, (il est clair en effet que la monarchie s’est faite par regroupement de territoires autour de l’Île de France), rien d’étonnant qu’on y cultive le français, d’Île de France. Ailleurs, on le sait on parlait, occitan, Basque, Breton, Picard, Alsacien ; les Parlements de Toulouse, Montpellier au Bordeaux siégeaient en langue régionale mais le Parlement de Navarre, parce qu’il ne verra le jour qu’en 1620 siègera lui en français même si les actes publics étaient jusque-là rédigés en béarnais.
On découvre à cette occasion que la France est un pays dans lequel la langue est le symbole de l’État et que c’est autour d’elle et de l’État que s’est édifiée la nation. C’est du reste cet aspect politique qu’induit clairement l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts. Quant à la rigueur de la langue, il ne fallut pas attendre longtemps pour que sa codification officielle en fut confiée à l’Académie française et ce, dès 1635. Dès lors, celle-ci fut chargée d’établir un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique, non à partir des usages de la langue courante, mais en puisant dans la littérature.
Le français est ainsi né de la langue des écrivains et non de la pluralité des idiomes coalisés dans une langue, c’est aussi pourquoi il est plus pauvre en expression que d’autres langues, mais plus précis sûrement. Nettoyer la langue, telle fut la tâche des académiciens ; il fallait lui ôter les impuretés, les imprécisions des parlers populaires, rendre la langue pure et éloquente, apte à traiter « des sciences et des arts ». Par sa rigueur et sa clarté, elle avait vocation à devenir universelle, ce qu’elle deviendra particulièrement au XVIII° siècle.
Mais ceci est connu. La question qui se pose est alors la suivante : quelle est l’intention du président Macron en cette affaire ? Quel est le sens de ce choix ? Veut-il raviver la querelle des langues régionales ? Sans doute pas ! Veut-il redonner à l’idiome national sa capacité à intégrer et à fédérer les différences ? S’est-il rendu compte de la déchirure profonde et culturelle du pays et, après avoir déclaré imprudemment en 2017 qu’il n’y avait pas de culture française, veut-il à tout le moins affirmer que le seul ciment culturel et politique qui reste à la France est encore sa langue qui, via la francophonie, fédère déjà les différences à l’étranger et pourquoi pas aussi en France même ? Nul doute qu’il devra là-dessus s’expliquer davantage. Mais ce coup de force ou d’éclat, ce choix par lequel il se met dans les pas de son illustre prédécesseur du temps des Valois, mérite qu’on lui pose la question, puisque selon la formule célèbre, cela est ainsi « et non autrement » !