RESTITUER SES STATUES À L’AFRIQUE

La chose peut passer pour secondaire en ces temps de préoccupation essentiellement pandémique et économique. N’empêche, les symboles culturels ont leur importance et il convient d’en dire un mot. De quoi s’agit-il ? D’une promesse faite en novembre 2017 par le président Macron à l’Université d’Ouagadougou, qui avait surpris tout le monde, de restituer les objets d’art africains dans les collections françaises. «  Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique ».

Elle avait été suivie par la demande d’un rapport à deux personnalités du monde culturel, l’une Bénédicte Savoy titulaire d’une chaire d’histoire des patrimoines artistiques en Europe à Berlin, l’autre Felwine Sarr, économiste et directeur de l’UFR civilisations et religions à St Louis du Sénégal qui ont remis leur rapport en 2019 et conclu à la nécessité d’une restitution à l’Afrique sans délai et avec calendrier d’au moins 90 000 objets qui sont au Musée jacques Chirac ainsi que dans nombre de musées d’Europe de Belgique et d’Allemagne notamment. À commencer avec la restitution de 27 statues prises au palais d’Abomey au Bénin lors guerres coloniales française et britanniques en Afrique de l’Ouest au XIX° siècle.

Émoi dans le monde des musées et de l’art en général. Pour rendre des œuvres d’art qui sont dans les musées, suite aux guerres, aux pillages, aux vicissitudes des États, aux dons ou aux achats, il faut passer par-dessus une loi sur l’inaliénabilité des œuvres d’art qui est toujours en vigueur. Une loi qui remonte au XIV° siècle où le Roi de l’époque s’était vu retirer le droit d’aliéner les biens de la couronne. Loi renforcée à l’époque de la Révolution lors de la confiscation des biens du clergé et pour protéger les œuvres d’art vandalisées, transférant ce patrimoine au profit de la nation qui donnera naissance à certains musées dont le Louvre. Depuis, les œuvres d’art détenues, notamment dans les musées, sont « inaliénables et imprescriptibles », et ne peuvent être cédées à quiconque tant à titre gratuit qu’onéreux. C’est à peu de choses près la position des autres États européens et on se rappellera que la Grande Bretagne a toujours refusé de restituer les fresques du Panthéon à la Grèce. Le statut quo étant considéré comme le plus adapté à la situation. Quiconque ouvre la boite de pandore s’expose à une jurisprudence infinie, à la querelle entre les États et au désordre permanent des musées.

Or, c’est ce principe d’inaliénabilité qui vient d’être écorné, une nouvelle fois à l’Assemblée nationale et désormais au Sénat – qui « en procédure accélérée » ont voté à l’unanimité une loi obligeant au transfert des œuvres promises par le Président à leurs propriétaires « en une année ». – Or la plus grande confusion règne sur cette question désormais. Ce n’est pas tant la restitution des statues du palais d’Abomey dans l’ancien Bénin auquel le roi Behanzin (qui par ailleurs était un esclavagiste notoire,) avait mis le feu dans sa fuite devant l’avancée des troupes coloniales qui est en question, que son principe même de restitution qui pose problème. De fait, ces statues n’ont dû leur sauvegarde qu’à la protection des troupes coloniales (La chose est connue par les travaux publiés de Patrick Manning, un universitaire britannique). Sur le fond, cette question peut se poser légitimement mais à notre avis autrement. 

Depuis la publication du rapport sus-indiqué, de nombreuses personnes pays et établissements culturels ont réfléchi au problème de la restitution légitime d’un patrimoine culturel qui même s’il n’a été préservé, conservé, étudié, et valorisé que grâce aux Européens depuis plus de cent ans, n’en reste pas moins un marqueur culturel par lequel des peuples, des cultures qui en sont issues peuvent avoir envie de se l’approprier pour rechercher leurs racines culturelles et artistiques et pouvoir les contempler dans des musées « près de chez eux ». Cette approche a été celle des dirigeants du musée Chirac qui considèrent que comme pour le Louvre à Abu Dhabi, des prêts, échanges, et travaux scientifiques peuvent être menés de concert en vue de répondre à cette question en bénéficiant des garanties de conservation et d’exposition que seuls encore de grands musées européens sont capables de mettre en œuvre tant que l’Afrique n’est pas équipée de musées comparables. Les grands musées historiques européens constituant en quelque sorte une base de conservation et de réserve à déploiement mondial en tant que de besoin par soutien et coopération. Désormais comme le disait Malraux « l’art mondial » ,et l’art Africain par déduction, aussi est « notre indivisible héritage », il doit être conservé là où les conditions sont optimales et offert à ceux qui le désirent, et aux Africains en premier bien entendu, dans des expositions multiples et coopératives avec la perspective de construire ici où là – quand cela est possible (et c’est déjà le cas à Dakar) – des musées pérennes qui exporteront à leur tour des objets inconnus et des créations contemporaines. On sera alors loin de l’approche actuelle et de son « ressentiment » vengeur qui est tellement dans l’esprit du temps.

L’ennui en effet, est que cette question se formule aujourd’hui sur le terrain du combat « décolonial » qui est vivace en France et le rapport Savoy-Sarr n’y fait pas exception. Le Sénat français, de bonne composition, a bien essayé d’ajouter à son vote une disposition pour la « création d’un Conseil national chargé de réfléchir à la question de circulation de biens culturels extra-européens », mais celui-ci a peu de chances de voir le jour, le gouvernement y étant opposé. Le président ayant opté à l’inverse de son prédécesseur Chirac, pour une restitution pure et simple. Mais la chose sera difficile car au-delà de ce coup de force ou d’éclat « princier », il reste le principe d’inaliénabilité auquel on peut certes porter des coups de canif avec justificatifs, mais le changer ou l’abolir prendra du temps et ne recueillera pas à l’évidence un consensus quelles que soient les pressions politiques exercées.

Cela est dommage car la circulation des biens culturels de ce musée imaginaire des peuples désormais mondial appellerait à une plus grande sérénité et à la mise en place intelligente d’échanges et de procédures (comme cela s’est déjà initié du reste), loin de  toute culpabilité post coloniale et repentance assortie de dédommagements, qui sont l’horizon actuel de ces questions. Et ceci, sans vouloir se rendre compte qu’entre les guerres, les pillages et les termites, nombre de ces artefacts ne seraient peut-être même plus en question si l’amour de l’art africain ne s’était répandu en occident à la suite des grands peintres cubistes qui en furent les premiers collectionneurs et aussi des marchands qui en ont été la sauvegarde par la circulation de la valeur d’échange comme ce fut le cas pour les œuvres d’art de l’antiquité dès la Renaissance. Sans cet amour pour l’art, ces objets pour la plupart auraient purement et simplement disparu.

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