TOMBOUCTOU

Alors que la télévision nous montre les colonnes de blindés de l’armée française avançant dans les sables avec des airs de corps expéditionnaire d’autrefois, la ville de Tombouctou, bientôt prise et libérée de ses occupants « Djihadistes » se rappelle à notre souvenir.

Ce que nous avions vu, il y a des mois, c’étaient des photos des célèbres mausolées des saints Soufis, dévastés ou détruits à la mine ou à la pioche par des fanatiques qui n’admettent aucune intercession entre leur Dieu et les fidèles et pour lesquels toute figure sainte ou de saint est impie. C’est là, une croyance comme une autre qui pourrait être respectable si elle n’était iconoclaste et n’aboutissait à des destructions irréparables. Et Tombouctou, classée au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO, présentait ce risque et cette menace de voir ses édifices religieux du XV° siècle et quelquefois encore plus anciens, définitivement détruits. C’est que l’histoire des civilisations nous montre des destins bien divers et toujours singuliers. Certes, nous savons depuis Valery, que les civilisations aussi sont mortelles, mais lorsqu’on songe à ce qu’était Tombouctou au Moyen-âge, capitale intellectuelle et spirituelle d’un empire Songhay islamisé qui faisait le lien entre l’Afrique noire et l’Afrique du nord, quelle était un centre universitaire qui comptait pas moins de 25 000 étudiants (à une époque où la Sorbonne en comptait quelques centaines), on comprend mieux pourquoi « la ville aux 333 saints », a toujours gardé un caractère mythique et une aura culturelle unique. Par ailleurs, c’est en cette ville que les grands mécènes religieux ont développé le goût du livre et encouragé la constitution de bibliothèques dont la possession donnait autant de prestige qu’en Italie à la renaissance au temps des Médicis. Car les livres s’ils étaient majoritairement publiés en Egypte et au Moyen-orient revenaient vers Tombouctou avec les pèlerins de la Mecque qui les transportaient, les faisaient copier et ainsi, peu à peu s’établit en cette ville un goût du livre, de la lecture et des bibliothèques proprement uniques en Afrique. Car les livres en question n’étaient pas que des ouvrages pieux, mais ils traitaient aussi bien de philosophie, de médecine que de sciences naturelles ou d’astronomie, en un mot, ils étaient un point relais de la culture universelle. On comprend pourquoi logiquement l’UNESCO les avait classés. Et on comprend aussi pourquoi on a voulu les détruire au nom du rejet de cette universalité du savoir et de la culture que des fanatiques, ici comme ailleurs, veulent contester de manière violente. Voilà ce que fût la ville de Tombouctou. La voir ou la savoir la proie des vandales et des pillards était en soi affligeant, car au-delà de la destruction des édifices, c’étaient ces milliers de manuscrits , mémoire de l’humanité, conservés en ces lieux qui étaient menacés et risquaient d’être brûlés. Or, les récentes informations qui parviennent de là-bas sont plutôt rassurantes sur ce point. Certes des manuscrits de XV° et du XVI° siècle ont bien été brûlés, mais moins qu’on ne pense car environ 90% de ceux-ci avaient été discrètement déménagés vers Bamako et le directeur du programme de conservation qui se trouve au Cap, en Afrique du Sud, M. Shamil Jeppie, a voulu récemment rassurer sur ce point la communauté internationale. Cela est pour tout esprit sensé plutôt rassurant. La numérisation de ces manuscrits est du reste en cours en France notamment, à Lyon précisément, mais aussi ailleurs et bientôt la richesse de ce qu’ils contenaient sera même probablement accessible à notre insatiable curiosité. Ainsi, si les traces matérielles des civilisations restent toujours exposées aux conflits des hommes, aux guerres et aux pillages, leur apport ineffaçable à l’humanité de l’homme sera lui mieux préservé. C’est la leçon à tirer de cet épisode, sans doute pas le dernier de nos folies politiques ou religieuses ou les deux à la fois.

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