CÉLÉBRATIONS ET MOROSITÉ

Guère de motifs de se réjouir ces temps-ci, le temps est à la pluie, les inondations menacent Paris, Roland Garros a tiré les bâches sur la terre battue et Le Louvre est fermé. Les piles de pneus fument encore devant les entreprises en grève et les drapeaux rouges flottent avec un air de révolution rampante. La rue prise de spasmes s’enflamme et s’apaise au gré des évènements, la circulation est entravée, les Français se regardent de travers, bref, la société civile se déchire et son parlement se divise dans l’indécision des solutions qui n’en sont plus.

Un évènement récent nous rappelle que le Pays a connu des heures plus graves. On vient de commémorer la terrible bataille de Verdun en 1916, il y a cent ans, moment terrible qui marque le début du naufrage des nations européennes lesquelles perdront à partir de cette date leur leadership mondial. On ne pourra pas dire que les initiatives du pouvoir en cette occasion aient été heureuses, tant dans le choix douteux d’un rappeur pour « une fête » à Verdun que par cette image qui se voulait porteuse d’espoir, de jeunes des deux pays courant entre les tombes et qui s’est révélée désastreuse, car combien inadaptée à ces lieux de repos et de respect dû aux morts. Mais quand en finira-t-on avec ces idées stupides de faire des fêtes dans des nécropoles ! Les fêtes, il y a des lieux pour ça et la jeunesse comme aurait dit Malraux est tout autant, sinon davantage le temps de la gravité que celui de l’insouciance. Que nos hommes politiques soient à la hauteur des circonstances lesquelles ne demandent pas de fêtes de rue à contretemps ! Le président Mitterrand qui s’y entendait en mises-en-scènes avait réservé au bicentenaire de la Révolution, le défilé coloré des Champs Elysées et s’il avait dans un geste très théâtral, pris la main du Chancelier Kohl à Verdun, le pathos de ce geste restait malgré tout dans le registre de la dignité. Je ne veux pas dire que notre Président et la Chancelière Allemande manquaient de dignité, mais comment dire, ce couple sur estrade manquait de dimension symbolique. Car il manquait aussi autre chose à la célébration de ces massacres qui jalonnent l’histoire des hommes et de l’Europe en particulier, ce quelque chose n’est évidemment rien de matériel ni de festif, c’est un témoignage de spiritualité. Or, comment nos démocraties, laïques de surcroit, peuvent-elles proposer de tels exutoires spirituels. Elles en sont d’autant plus incapables que cette question engage aussitôt la dimension religieuse qui est précisément celle qui fait défaut à l’Europe laquelle, laïque pour l’essentiel, a renoncé à la dimension religieuse de ses racines comme on sait. Elle a ainsi renoncé au plus éclatant témoignage de piété, d’amour de l’autre et de rédemption après sacrifice, qu’une civilisation ait jamais conçu et réalisé au nom de l’incarnation. On a alors négligé le fait que le plus haut témoignage de l’art européen a engendré un art d’inspiration religieuse qui a donné un langage commun à tous nos peuples à travers les siècles? Ce faisant, on s’est privés de toute possibilité d’exutoire collectif dont on puise attendre ferveur, dignité et spiritualité. Le Général De Gaulle en 1966, date à laquelle la France célébrait seule cette bataille, note que c’est en ce lieu même que s’était défait l’Empire de Charlemagne (traité de Verdun 843) comme s’est aussi défaite une certaine idée de l’Europe et aujourd’hui commentent les historiens Prost et Krumeich : « les Jeunes qui visitent Verdun sentent bien qu’il s’est passé là quelque chose d’exceptionnel ; ils éprouvent le sentiment d’être en présence d’un Sacré, sans pouvoir le formuler ni l’expliquer ». C’est ce sacré qui commande une certaine retenue dans les manifestations. Car, si le besoin de construire des monuments aux morts, s’est manifesté après toutes les guerres, (certes avec des réussites artistiques diverses), c’est que le souvenir a besoin de l’art pour témoigner du sacrifice, et si l’on a célébré tant de « Te Deum » dans les Églises d’Europe, c’est qu’il faut aussi un chant de deuil après les chants de guerre. C’est cela d’abord qui a manqué ces jours-ci à Verdun et c’est pourquoi, toute manifestation festive, même si elle part de bons sentiments n’est pas à la hauteur de la circonstance. On admettra alors que si les temps que nous vivons sont si déprimants, c’est par notre impuissance à redonner un sens, un espoir collectif, sinon une croyance commune à des peuples qui n’attendent que ça. Les grandes cérémonies y prédisposent certes, mais, comme on voit, cela ne suffit pas.

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