MUSÉES DE BILBAO

Une de ces journées de Pays Basque où les lourds nuages noirs s’accrochent aux montagnes, où la pluie cingle en venant de l’océan, où les éclaircies au loin se signalent par des arc-en-ciel fugitifs, bref un temps hors saison qui met le moral en berne. Que faire ? Loin des plages, la visite des musées s’impose. Ce sera Bilbao, son Guggenheim comme une carapace de squale gris brillant à la lumière, son Hush Puppy, son bouquet de tulipes en aluminium déposées là par Jeff Koons et son araignée géante conçue par louise Bourgeois. Les signes de l’art « contemporain » sont bien là.

À l’intérieur, cette fois deux expositions remarquables : Bill Viola et Bazelitz. Le premier présente des pièces majeures souvent déjà vues comme à Paris au Grand Palais en 2014 mais qu’on revoit comme la première fois. Ces poèmes visuels proposent des rencontres bouleversantes dans lesquelles on sent que c’est le destin métaphysique de l’homme qui est invoqué. Ils saisissent par leur force esthétique. Deux éléments reviennent toujours : l’eau et le feu, souvent sous la forme catastrophique comme dans « le déluge » qui dévaste une demeure à la façon d’un tsunami. Ailleurs, de véritables poèmes visuels « racontent » une histoire dont on nous suggère de tout inventer comme dans un rêve éveillé, plus loin ce sont des rencontres qui s’esquissent avec grâce et lenteur entre des marcheurs, des marcheuses qui convergent, se saluent et s’éloignent sur des routes à l’horizon desquelles palpite une sorte de mirage lumineux comme il s’en produit parfois sur la route ou dans le désert; Reflets, lenteur, immersion dans les éléments dus en particulier à la taille immense de ces vidéos, une exposition de Bill Viola, – sans doute le plus grand créateur vidéaste au monde -, ne laisse pas indifférent. Ce qu’il bouleverse en nous n’est pas de l’ordre de la réflexion ni du sentiment esthétique, mais de l’ébranlement dû à un questionnement primordial. Nous sommes devant ces œuvres, démunis, saisis par les questions informulées qui se posent dans un langage et sous des formes inédites. On sort de là, troublé mais aussi apaisé comme si on avait consulté quelque sorcier moderne qui aurait mis sous nos yeux les grandes questions existentielles. L’exposition Bazelitz en revanche étonne un peu mais intéresse car ce sont les œuvres de jeunesse de l’artiste alors âgé de 27 ans qu’on voit tâtonner à la recherche de son style dont 3 immenses toiles récentes donnent la mesure dès le début de l’exposition. Une série de dessins et d’eaux fortes saisissants de talent accompagne cette exposition. Rien que pour eux elle vaut la peine d’être vue. En sortant, on songera que ces artistes allemands du XX° siècle, Kiefer, Lüpertz, Immendorf dans leur confrontation avec le passé récent de l’Allemagne ont trouvé le langage expressionniste qui convenait. Ici, l’élaboration de la figure de l’homme, du partisan ou du soldat est tout à fait intéressante à regarder. Impossible malgré tout d’aller à Bilbao sans faire un détour au délicieux Musée des Beaux-Arts qui cette fois présentait (après le musée Jacquemart-André ce printemps à Paris) la collection privée d’art moderne d’Alicia Koplowitz ; milliardaire, neuvième fortune espagnole, longtemps à la tête du puissant groupe de BTP espagnol « Omega capital » avant qu’elle ne cède ses parts à sa sœur. Alicia avait les moyens de son ambition et le talent de se constituer hors tous circuits et comités, une collection personnelle qui marque dans ses choix, un goût artistique très sûr, une sensibilité singulière, mises au service de l’acquisition d’œuvres de premier plan. On passera sur la saga de cette famille et des deux sœurs associées puis séparées dans la gestion de leurs affaires qui laissera à Alicia une fortune pour poursuivre son ambition de jeunesse, elle qui a étudié aux Beaux-Arts à 18 ans, a su ainsi se constituer une collection et à défaut d’être artiste elle-même mettre son talent d’artiste dans le choix des plus beaux tableaux accessibles sur le marché. Le résultat est convainquant ; L’ensemble témoigne d’un goût certain aussi bien dans le répertoire traditionnel que dans les œuvres contemporaines ; à titre d’exemple, une très belle « vierge à l’enfant » de Zurbaran de 1659, un « portrait de la duchesse de Bragance » de 1603, un « portrait de femme » par Goya, une « tête et main de femme » de Picasso en 1921 ou un autre par Van Dongen, la superbe « femme rousse » de Modigliani de 1918, ou les « femmes de Venise » de Giacometti. On ne met pas longtemps à s’apercevoir que les femmes sont au centre de cette exposition. S’il fallait se convaincre de l’importance de l’image de la femme en peinture comme en sculpture, on en aurait là une belle illustration. Mais ce n’est pas tout, on se retrouve vite devant un Rothko jaune et bleu de 1954 d’une qualité exceptionnelle, de même un grand De Kooning de 1977 ou un Barcelo de l’époque africaine de l’artiste. L’ensemble est d’une grande cohérence et quel plaisir de voir ainsi célébrée en une cinquantaine d’œuvres la peinture par le goût d’une collectionneuse. Enfin une exposition qui n’est pas le résultat du choix d’un commissaire ou comme on dit avec snobisme, d’un « Curator » !

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