GLOBISH

Un peu énervé comme d’autres, par ce fameux « Black Friday » qui s’était mis à recouvrir en un temps record les devantures des magasins et à saturer l’espace médiatique (mais on commence à avoir l’habitude de ce qu’il faut bien appeler le bourrage de crâne qui rappelle ce que dans un temps lointain on nommait la propagande !) j’en étais là de mes réflexions en constatant chaque jour davantage notre conversion inéluctable à un mode de vie et de communication transatlantique.

Déjà, il nous avait fallu supporter la conversion de l’antique fête des morts de la Toussaint en ce carnaval infantile appelé Halloween dont on eût beau m’expliquer les racines Anglo-Celtes mais qui n’en reste pas moins un signe d’arraisonnement culturel et de détournement consumériste comme du reste ce culte du Père Noël (qui a réussi celui-là, passant du Saint Nicolas, à un personnage de BD dessiné par un illustrateur américain avant que Coca-Cola ne s’en empare pour sa publicité et n’établisse le modèle-type que l’on connait de nos jours). Et voilà bientôt deux-cents ans que ce personnage issu du premier coup de crayon d’un dessinateur américain habite notre imaginaire et celui de nos enfants futurs ou actuels buveurs de Coca-Cola !

Voulez-vous d’autres exemples du changement de nos mœurs, de nos représentations, de nos modèles culturels ? Écoutez la musique, la chanson, regardez les arts plastiques tous soumis à la mode et à la terminologie anglo-saxonne. On chante rock ou Folk ou Pop, on fait du Street art, et on surfe sur le Net ! Rien d’étonnant au fond, me direz-vous, nous vivons en régime capitaliste dont le modèle, et maintenant l’orientation, ne sont rien moins qu’américains, et nous savons depuis belle lurette qu’un pays qui domaine économiquement domine toujours culturellement les autres. L’histoire nous l’enseigne. A ce rythme, nous deviendrons un jour ou l’autre chinois me disait un bon ami l’autre jour ! Logique ! Mais pour l’instant, lui dis-je, nous devenons de jour en jour davantage américains, davantage puritains, davantage assujettis à leurs technologies et incapables de nous en passer et enfin convertis à cette manie de recouvrir nos rues d’enseignes en anglais comme si c’était le prix à payer pour faire entrer le chaland et l’inviter à goûter ce que la France fait de mieux : parler la langue des autres ! Un philosophe français observait récemment qu’avant 1919, il y avait une civilisation européenne qui avait pour variable l’américaine, et qu’aujourd’hui, c’était l’inverse qui se produisait. Voilà qui crève les yeux !

Mais le pire est que certains trouvent déplacé qu’on s’en étonne. Eh quoi, n’est-ce pas là le progrès ! Et l’abandon du français n’est-il pas le signe d’une nation « avancée » comme on dit ? Observez comment ce mouvement gagne un peu partout davantage de territoire chaque jour : dans les publications scientifiques d’abord, dans les cénacles et assemblées ensuite, dans les médias évidemment, dans le langage courant de plus en plus.

Mais dans la rue, a-t-on vraiment affaire à de l’Anglais? Ne serait-ce pas plutôt du « Globish » cette langue de mots sans syntaxe, d’origine anglaise mais d’usage américain, qui se faufile partout et qui devient le sabir d’un monde globalisé. Un ami, encore, de retour des USA me disait qu’à New-york on n’entendait plus que ça, mâtiné d’espagnol de surcroit. Le voilà donc cet « Esperanto » qui avait fait rêver certains d’une langue d’usage universel, mais il ne porte plus les mêmes espérances de communication, il est tout entier au service de la consommation et de la publicité. Ironie de l’histoire.

Notez au passage que les communications intra européennes en sont maintenant venues à l’Anglais par commodité au moment même où les Anglais tournent le dos à l’Europe pour tenter de retrouver leur insularité et leur tropisme américain, non sans mal d’ailleurs.

Ne combat-on pas alors les moulins à vent à s’énerver de l’américanisation de nos échanges ? Ne sommes-nous pas en phase de mondialisation qui nivèle les différences et efface les identités, dans une phase de globalisation plutôt qui remplace peu à peu la notion de monde réel par celle de monde virtuel ; un mode où le « mot de passe » a remplacé la formule de politesse, comme si à chaque fois que nous poussons une porte virtuelle, nous entrions dans un monde virtuel plus vrai que le monde réel ? Et notez notre malheur, il nous faut désormais une infinité de « mots de passe » pour vivre et chaque matin il nous faut nous en souvenir. Comme c’est ce qu’on oublie le plus facilement, on vous en propose constamment d’autres, avec des minuscules, des majuscules, des chiffres qu’on est certains d’oublier encore davantage, nous avançons dans un brouillard numérisé à la merci de tous les prédateurs qui nous guettent dans ce nouveau, nouveau monde. Ce n’est pas comme on sait celui d’Alice au Pays des merveilles mais plutôt un monde où chaque jour se multiplient les conditions de notre aliénation matérielle et langagière, un monde de cauchemar, un « Black Friday » permanent !

Est-ce cela qui nous remplit de mélancolie et de ressentiment ? C’est possible.

« Cool » ! me disait hier encore un gamin auquel j’apprenais une bonne nouvelle ! Il avait dix ans, je ferais bien d’en prendre mon parti !

Pleurerons-nous un jour l’oubli de notre langue nationale après celle des langues régionales ? Décidément ce monde-là ressemble de moins en moins à ce que je préfère !

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *