Ce dernier week-end d’entre « les deux tours », j’allais à la fête foraine ; ne vous demandez pas pourquoi, sans doute parce qu’il s’en trouve parfois dans les villes qui n’ont pas encore rendus inaccessibles tous leurs espaces publics et parce qu’en fin de compte, en dépit d’une modernité clinquante de manèges électroniques, c’est encore là que l’on retrouve les manèges anciens de la fête à neu-neu, de l’enfance à deux sous, de la queue de renard qu’on attrape lorsque le forain qui l’agite a repéré que vous avez laissé assez d’argent au guichet, bref, en raccourci, un peu de la France de Lassalle et de Roussel, l’accordéon et le bal musette en plus ou en moins selon les cas. Vous aurez compris que j’en étais encore dans l’ambiance du premier tour de manège.
Rien de mieux que les chevaux de bois d’ailleurs pour filer la métaphore avec les élections, un vieux tourniquet qui en a vu et de belles en son temps mais qu’on répare tant qu’on peut, une administration qui sait huiler les rouages et pousser à la roue à l’occasion, et toute une formation de chevaux de bois (mais ils en le sont pas tous, on en a remplacé certains par des automobiles, des avions et que sais-je encore) en place pour l’épreuve. Chevaux de bois, façon de parler et avec un peu de chance, si les antiquaires et brocanteurs n’ont pas fait la razzia. Il arrive pourtant qu’on retrouve de ces vieux manèges aux chevaux sculptés et peints, beaux comme des violoncelles et quelques ânes ou canards pour ceux qui ne veulent pas chevaucher ou seront arrivés trop tard sur le stand.
Mais enfin, ça revient toujours au même, tourner sur un manège c’est conserver l’espoir ou l’illusion que la place qu’on a prise au départ ne préjuge pas de celle de l’arrivée.
Car tout dépend de la vitesse de la machine. On peut se laisser griser à voir défiler le paysage de plus en plus vite, voir les amis et parents ou les électeurs du bord de route devenir de plus en plus flous comme des sondages, qui font que chacun peut se croire porté à un moment ou l’autre à la tête de la course. Tout est affaire de conviction.
L’adrénaline qui court alors dans les veines accentue l’ivresse de l’arrivée. Et voilà que ça ralentit et avant que ça s’arrête, on frôle la queue de renard qui signalera le gagnant. Mais bah, c’est toujours pareil : le plus grand, le meilleur, la meilleure qui sait, ou le plus chanceux, ceux et celles (comme on dit maintenant) qui sont frôlés par l’aile de la victoire auront le pompon. On a beau avoir fait plusieurs tours et même asséché le porte-monnaie de grand-mère, il arrive qu’on ne gagne jamais. Ce sera pour une autre fois mon petit ! (une chance, contrairement aux politiques on n’aura pas à rembourser au cas où l’on ne gagnerait pas) .Tiens, on va se calmer au stand de tir et là, à la carabine, les pigeons et les têtes de pipe en argile, on les descend comme lorsqu’on froisse un bulletin de vote dans la corbeille à papier au lieu de le mettre dans l’urne !
Car vous l’avez compris, c’est de ça que je parle, de ce jeu de manège (même si je le rêve un peu à l’image de mes souvenirs), qui revient maintenant tous les cinq ans et qui est à la démocratie ce qu’était l’arrivée des manèges à chaque fête votive villageoise de l’enfance. Et chaque fois, on se disait que ce serait mieux que la fois dernière sans se rendre compte que ce à quoi nous tenions le plus (et avec raison) c’était à l’arrivée des manèges eux-mêmes.
C’est un peu comme en démocratie, on n’en obtient pas souvent ce qu’on désire, mais on sait que sans elle, on n’obtiendrait rien ou pas grand-chose. Alors évidemment les rêves, la queue de renard des retraites, des rentes, des aides de toute nature, l’assistance sociale généralisée, la correction des égalités, la toise sur toutes les têtes qui dépassent, on sait bien au fond que ce ne sera pas encore pour cette fois. Les lendemains qui chantent sont comme l’horizon qui recule, toujours là, jamais assez près pour l’atteindre.
C’est pour ça qu’il faut garder la tradition des manèges et la fête foraine dans les villages et les villes, et le carnaval si vous y tenez. Car, s’il faut au peuple un exutoire à ses angoisses, on n’en a pas trouvé de meilleur que les élections, ces chevaux de bois des sociétés développées : une course et une arrivée avec beaucoup de parieurs, quelques gagnants et beaucoup de déçus mais qui en parlent tout le temps.
Les jeux et les hommes sont en quelque sorte nés en même temps. L’homme est un « homo ludens » écrivit au siècle dernier le grand sociologue néerlandais Johan Huizinga qui avança cette thèse selon laquelle la culture est la forme développée du jeu lequel est le propre de l’homme. Quant à nous , nous pourrions observer que dans nos démocraties, la politique est la forme la plus élaborée de la culture par bien des aspects qui ne tiennent pas au pouvoir spécialement , mais au jeu tout autant.
Bien des hommes (ou des femmes) politiques auraient du mal à se l’avouer mais dans le fond de leur cœur, il y a un enfant qui joue à être, commandant, général ou président(e). C’est du pareil au même, seul change le képi ou le haut de forme, la culotte courte ou l’habit de cérémonie et le grand cordon, mais c’est la fonction devant laquelle les autres se mettent au garde à vous.
Alors : roulez petits manèges et… en avant marche !