UN ÉTÉ AVEC GASTON BACHELARD

Si vous êtes fatigués des joutes politiques et du spectacle qu’elles offrent, du déchirement sans fin des opinions contraires, si vous songez à partir en vacances, si vous pouvez vous abstraire un instant des horreurs d’une guerre aux portes de l’Europe et aspirer à un peu de repos dans une maison de campagne, un endroit en montagne ou au bord de mer,  pourquoi ne pas lire ou de relire Gaston Bachelard ?

Voilà un philosophe largement autodidacte (mais qui finira professeur en Sorbonne !) qui a connu une grande gloire au milieu du siècle dernier et qu’on a un peu oublié. Les professeurs de philo l’évoquent toujours lorsqu’il leur faut expliquer « l’esprit scientifique » en disant après lui que « les vérités premières sont des erreurs premières » et s’ils en ont le temps, tracent la ligne qui va de la réflexion scientifique à la littérature ouvrant ainsi le chemin qui relie la rationalité à l’imagination. Ils encourageront peut-être leurs étudiants à pratiquer la « rêverie poétique » car « notre appartenance au monde des images disait Bachelard est plus forte et plus constitutive de notre être que notre appartenance au monde des idées ». Et puis, inscrivant sa pensée dans la cosmologie, le philosophe nous invitera à lire et « relire » (acte pour lui essentiel) la création poétique sous les signes cardinaux de l’air, de l’eau, de la terre et du feu, comme l’aurait fait tel ou tel alchimiste du haut Moyen-âge. 

Or ce que nous offre Bachelard est unique et profond ; c’est une méditation à la portée de tous pour autant qu’on accepte de rêver, de lire, de méditer en pleine conscience des éléments qui nous traversent et nous affectent.

Commençons par la terre dont cet homme né à Bar sur Aube sait si bien parler. C’était un marcheur et un promeneur comme nos anciens, un homme du pas et du bâton qui aimait à parcourir les collines et les vallons, qui était sensible aux saisons, celles du corps et celles de la terre, qui aimait la chair et les vins, et le bruit des ruisseaux qui coulent dans l’ombre. « J’avais trente ans lorsque j’ai vu l’océan pour la première fois » dira-t-il dans « l’eau et les rêves » l’un de ses plus beaux livres.

Et pourtant l’eau est au centre de son imaginaire poétique, l’eau qui se change en feu dont le poète Novalis dira qu’elle est « une flamme mouillée ».

C’est dans le feu qu’il ira à la rencontre des grands philosophes de cet élément : Héraclite ou Empédocle lequel aimait tant le feu qu’il finit par se jeter dans l’Etna selon la légende. Hölderlin et les romantiques, mettront le feu au principe des choses qui comme la vie se consument sans fin comme Bachelard l’écrit dans « la psychanalyse du feu ».

Et puis il y a l’air, la beauté légère des papillons, la danse, la musique, les poètes aériens parmi lesquels il place Shelley et Rilke, coïncidence mouvante de l’être intime avec l’être cosmique. Le poète aérien se laisse porter par la douceur alors que dans le feu il se consume : « pas de principe plus actif pour donner un sens vital aux déterminations poétiques » !

N’allons pas plus loin, l’œuvre de Bachelard est puissante et accaparante, mais restons-en à la surface si on ne la connait ni ne la pratique. Cherchons en cet été qui s’annonce chaud à pratiquer à notre tour le « rêve éveillé », la rêverie si l’on préfère, à l’ombre de quelque arbre ou depuis le moindre hamac, car c’est entre rêve et sommeil que naît l’imaginaire poétique, dans ce clair-obscur du psychisme humain, ou devant l’eau qui coule et qui berce ou encore devant l’eau dormante. Pourquoi dit-on dormante se demande Bachelard ?  Parce qu’il y a un lien entre l’eau et l’humain, entre le repos apparent et le rêve.

Il faut donc lire, mais on s’en doutera peut-être, il faut se laisser aller à la rêverie qui suit la lecture, car dit-il, « lire, c’est apprendre qu’on n’a rien lu ». Nous sommes des liseurs car c’est à ce prix que naissent en nous les images nouvelles qui renouvellent les archétypes de l’inconscient. Là est le génie de la langue et le mystère du style : dire une fois encore ce qui a été dit tant de fois et qui n’a encore jamais été entendu sous cette forme et dans ce style : voilà Proust, voilà Céline, voilà Hugo, voilà Éluard ou Aragon et la liste est infinie. Mystère de la langue et de ses métaphores : « entre deux mots qui riment dira-t-il à propos de Hugo, s’impose la métaphore ». « La joie de lire et la joie d’écrire comme si le lecteur était le fantôme de l’écrivain ». 

Et puis, n’est-ce pas l’été, à l’ombre, à sa table de travail ou sur le sable que chacun soudain, un livre à ses côtés se sent devenir écrivain : écrivain d’un été le plus souvent mais qu’importe. C’est le privilège supérieur de la rêverie poétique de mettre à la portée de chacun cette métamorphose pour autant qu’un livre en sa main l’ouvre au monde de la littérature qui est aussi celui du rêve éveillé.

Bel été donc avec Gaston Bachelard ; ses livres se trouvent pour la plupart en format de poche.

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