Beaucoup d’hommages on s’en doute après l’annonce du décès de Peter Brook, l’un de ceux qui ont bouleversé l’histoire du théâtre contemporain. Son parcours, des plus classiques au départ, dans la forme de la tradition anglaise, lui donne très tôt les bases de la pratique théâtrale principalement autour du domaine shakespearien. On remarquera en France son talent singulier lorsqu’il met en scène « Marat-Sade » de Peter Weiss, mais aussi lorsqu’il réalise le film « moderato cantabile » sur un texte de marguerite Duras. Toutefois, il faut attendre 1970 pour voir surgir l’artiste unique qui avec le CIRT (centre international de recherches théâtrales) va parcourir la planète à la rencontre des traditions théâtrales du monde entier en rassemblant des comédiens eux aussi venus d’horizons différents. Peter Brook est alors à la recherche d’un langage universel du théâtre par-dessus les différences et les traditions.
Le milieu culturel français (entendons par là, les festivals et les programmateurs de théâtre) le repèrent. L’un d’eux a la chance d’être Ministre de la Culture au moment où la question de l’installation de Brook en France se pose. Michel Guy, créateur du Festival d’automne à Paris lui propose un théâtre dans la capitale. La recherche conduit Peter Brook vers « les Bouffes du nord », un vieux théâtre à l’italienne en ruine qui ne demande qu’à être démoli et reconstruit. Mais Brook comprend immédiatement qu’il y a une âme dans cette vieille carcasse en ruine, que ce théâtre est en lui-même un emblème qui contient la quintessence du théâtre à l’italienne dans sa forme décrépite et surannée et s’offre idéalement à la création contemporaine, la sienne, qui ne demandait qu’à trouver un cadre adéquat à ses recherches. Peter Brook a trouvé là son lieu idéal.
Il fera de ce théâtre l’un des bijoux de la création théâtrale non en rajoutant du décor au décor, mais en universalisant la lieu vide comme décor. Voilà qu’il théorise alors la notion de « l’espace vide », cette sorte de place publique, de « Campiello » à la façon de Goldoni où se rencontrent et se mélangent public et acteurs dans cette « convention partagée » qu’on appelle depuis toujours le théâtre.
Désormais, le théâtre ce sera ça : un tapis oriental au sol, un samovar dans un coin et des hommes qui discutent, et voilà la Cerisaie de Tchekhov réinventée, la même chose avec des acteurs africains, iraniens, et voilà « la conférence des oiseaux », voilà « Timon d’Athènes », « Carmen » ou « la Tempête » : quelques acteurs, des épées tombées au sol, un drap rouge ensanglanté et on a la bataille. Et voici le monument qui sera donné d’abord à la carrière Boulbon en Avignon : « le Mahabarhata », la grande fresque indienne jouée par des acteurs sublimes, (Sotigui Kouyaté, Richard Ciezslak) tous porteurs d’une tradition théâtrale intacte, souvenir impérissable pour beaucoup . Tous ceux qui se sont donné rendez-vous un jour en ce lieu en ont ressenti la géniale simplicité et l’évidente réalité : le théâtre est une convention : « on dira que nous sommes à Athènes »…et voilà comment commence l’illusion vraie.
Jeune, Peter Brook voulait réconcilier les deux mythes du théâtre européen : Brecht et Artaud, ( le théâtre politique et le théâtre du corps) il a fait mieux il a réinventé le rituel et résolu cette question : comment faire communiquer les hommes entre eux lorsqu’ils sont différents de race de culture de croyances et d’horizon. Il aura inventé un langage universel à partir duquel, dans leurs différences, dialoguent des cultures. Un mot encore il sera venu au Parvis avec « Ubu Roi » et « l’os » de Birago Diop, sa femme Nastasha Parry aura été la « Winnie » de « Oh les beaux jours » de Beckett dans une mise en scène de Brook. Une raison de plus de lui rendre hommage. Que dire encore, sinon le bonheur d’une rencontre avec un homme remarquable pour reprendre le titre d’une de ses conférences, un jour d’été en Avignon, il y a si longtemps .