On va trouver peut-être le moment mal choisi, alors que l’été indien continue à roussir nos frênes, chênes et platanes. Parler du froid peut sembler intempestif. Personne n’a encore remis sa petite laine et l’on voit les sportifs du dimanche prendre d’assaut les plages et la montagne comme aux plus beaux jours de l’été. Mais à y bien regarder, on sent comme un fond d’air plus frais. On sent, enfin, je veux dire qu’on entend plutôt ou qu’on observe, que le temps social ou psychologique si l’on veut, commence à se rafraichir. Déjà au Parlement on se bat froid entre partis et factions concurrentes dans l’hémicycle. Les faits divers nous rapportent des crimes qui font froid dans le dos. À l’international on constate que les relations Franco-Allemandes, véritable thermomètre de l’Europe se refroidissent, et si l’on va plus loin encore, on admettra que ce qui se passe à l’Est rappelle plutôt la guerre froide que l’entente cordiale.
Autant être prévenus.
Car si j’use ici de métaphore c’est par précaution. On va bientôt voir et ressentir concrètement ce qu’il en est de la froidure, lorsque l’électricité et le gaz viendront réellement à manquer ou seront rationnés. C’est bien ce qui se prépare avec les conséquences de cette guerre dite « asymétrique » pour indiquer qu’elle a commencé comme une « opération spéciale » avant de se transformer en guerre classique et peut-être mondiale si on n’y trouve pas une issue raisonnable assez tôt, mais il ne semble pas qu’on en prenne le chemin.
Tout se passe comme si le monde, j’entends par là, le monde de la mondialisation commerciale et culturelle en avait eu assez de la paix et des échanges et avait besoin de se livrer à ces crises systémiques qui secouent de temps à autre les peuples et les civilisations, bouleversant les rapports de puissance au prix du sang et des larmes. L’histoire est tragique, on l’avait sans doute oublié trop vite et le destin des nations, ou leur tentation, est de tenter de redevenir des empires au détriment des autres avant de basculer dans la guerre et d’anéantir le seul bien qui nous soit commun : la paix.
Nous nous installons ainsi peu à peu, et à notre grand étonnement, dans un monde dont la guerre est devenue une option comme une autre, mais disons-le, en ignorant l’équilibre de la terreur nucléaire du temps de la guerre froide. Il y a toujours un moment où l’on tente de passer la ligne de jouer avec le feu. L’Histoire nous enseigne que les plus grandes catastrophes ont eu souvent des prétextes minimes à leurs déclenchements.
Je vous avoue que cela fait un peu froid dans le dos. Les rodomontades, coups de menton, de clairon ou de canon sont l’ordinaire des temps troublés, nous y ajoutons maintenant le film et le commentaire en direct avec ou sans propagande, dans les media et les réseaux sociaux qui en orientent la perception sinon le cours avec les experts, les thuriféraires et les va-t-en guerre de surcroît.
Je me souviens avoir lu qu’au moment de la deuxième guerre mondiale, à l’heure où le débat sur la paix faisait l’ordinaire des débats parlementaires, un philosophe avait déclaré : « les pacifistes sont des gens qui ont pour la paix un amour de faiblesse », entendant par-là que lorsque la guerre est là ou tout près de nous, vouloir se payer de mots est une faiblesse qui ne change rien aux choses mais nous met en état d’en être accablés. Nous en sommes toujours là. Mais nous savons aussi que la guerre est capricieuse, les anciens savaient cela mieux que nous en l’attribuant aux caprices des dieux qui tantôt en faisaient pencher le destin d’un côté, tantôt de l’autre. Un jour il vous est favorable, le lendemain c’est l’inverse. Le plus sage n’est-il pas celui qui profite d’un moment de force pour imposer la trêve à son adversaire, quelles que fussent les bonnes ou mauvaises raisons de ce dernier. On sait de toute façon qu’il n’est pas de guerre totale (sauf la nucléaire peut-être) et que l’histoire ne change que provisoirement la géographie.
Au XVII° siècle, le musicien Anglais Henry Purcell composa un air qui devint célèbre en ce qu’il exprime le froid dans son essence, c’est le « Cold Song » que chacun peut écouter à loisir car c’est « un tube » comme on dit. L’écoutant par hasard ces temps-ci, il m’a suggéré cette chronique. Malgré tout, cet opéra (King Arthur) finit bien, car il y a un printemps après l’hiver, mais il exprime à merveille ce qu’il en est de la traversée de l’hiver des cœurs, des corps et des âmes et des peuples. Seule la musique en ces circonstances est à la hauteur de la souffrance des humains. Voilà bien une réflexion pour ces temps de la Toussaint.