mélancolie démocratique

Les Français comme d’autres avant eux, mais eux spécialement, n’aiment rien tant que trouver un Bouc émissaire qu’ils chargeront de toutes les fautes, frustrations, colères du moment. On se souvient ou l’on sait que ce phénomène est apparu dans le monde antiqueet qu’on en trouve trace déjà dans le Lévithique. Il est le moyen de se débarrasser de la violence par la violence et le sacrifice de celui qui est désigné comme cause de tout. Vieux mécanisme et vieille méthode qui ne fut pas sans effet dans la longue histoire des peuples.

Les Français ont ainsi fait avec leur roi, Louis XVI et depuis ce temps, ont lié leur destin à l’impatience démocratique. La IV° République à cet égard fut un modèle. À peine a-t-on élu quelqu’un à quelque haute fonction qu’il faut qu’on l’en décharge en lui faisant porter tout ce qui semble entraver le bonheur du peuple. Illusion populiste on le sait, le gouvernement du peuple par le peuple, directement sans représentants, sans corps intermédiaires aboutit toujours au même désastre : le désordre d’abord, la tyrannie ensuite. Néanmoins la République grâce à sa constitution et à ses lois imposa « le temps nécessaire ». Mais celui-ci paraît de nos jours trop long.

Le président Mitterrand à son époque voulait « donner du temps au temps », depuis cette époque on dirait que la durée s’est envenimée. Nul n’a plus le temps d’attendre. Nos derniers présidents furent précipités vers la sortie sans avoir eu le temps long des grandes réformes de structure et de remise en marche du pays toujours différées et gagées sur une croissance hypothétique ou provisoire. Ce dernier en a un peu plus mais on voit à l’impatience qu’il suscite qu’on le mettrait bien dehors dès lors qu’il ne satisfait pas aux attentes momentanées, hors toute considération de nécessité et de perspective. 

C’est donc le parfait bouc émissaire. Nous n’avons pas avancé d’un pas dans nos mœurs politiques et malgré nos lois, notre État-providence, nous en revenons toujours au même point : il nous faut un bouc émissaire. N’a-t-on pas récemment entendu un député en écharpe vouer notre Président actuel au même destin que le dernier de nos rois ? On se dit que le dérapage verbal a quand même ses limites ! Si par cas on trouve un tempérament qui s’offre à la polémique, qui ne fait pas profil bas, qui fait face à l’adversité, alors on le juge méprisant, insensible et la colère augmente à la mesure des défauts qu’on lui prête. Mais enfin, un peuple intégralement et constamment en colère, cette casserole qui bout sur le feu des médias en ligne ou officiels, qu’on ne parvient pas à attiédir et qu’on transforme en instrument de protestation ensuite  ne dit autre chose que ceci : nous comptons trop sur l’État-providence nourri à l’impôt, aux prélèvements sociaux et à l’emprunt et pas assez sur nous-mêmes.

Nous avions construit un beau modèle social au lendemain de 1945, c’est entendu, mais comme toujours de petites dérives en petits et grands échecs ou erreurs de trajectoire nous en avons affaibli les fondamentaux, chacun le voit bien mais il a été trop souvent indécent de le dire. La prise de conscience collective de la situation est douloureuse on le sait bien, c’est pourquoi le bouc émissaire est une illusion nécéssaire à la croyance en notre bien-être futur et une aubaine pour toutes les démagogies et tous les démagogues.

Mais même le changement de chef n’est plus une assurance sur le futur. On le voit lors des élections présidentielles au taux de participation électoral et on entend régulièrement cette énormité : certes nous avons élu un président, mais c’était par défaut et sans majorité réelle. Mais quoi, le système électoral à deux tours ne conduit-il pas in fine vers une majorité quoi qu’il en soit ? À dénier ainsi la réalité, c’est le mécanisme démocratique que l’on invalide. Voit-on bien où cela nous mène ? Car demain sera comme aujourd’hui ; on pourra faire toutes les réformes électorales qu’on voudra on retrouvera ce qui nous mine et nous transforme, ce qu’un sociologue a défini comme notre difficulté à nous unir dans un effort commun. Il en résulte cette « archipélisation », soit l’émiettement du corps social en une multitude de causes de croyances et d’intérêts qui ne peuvent se coaliser tous ensemble que lorsqu’ils rassemblent ceux qui ont le sentiment d’être unanimement maltraités.

Ce qui m’inquiète et me préoccupe c’est que dans un tel contexte ce qui nous lie et nous relie dans ce beau pays qui est le nôtre ce sont les passions tristes, les peurs, les colères qui entretiennent en nous le sentiment permanent de l’injustice sociale et ce avec un État qui prélève et redistribue une part de la richesse nationale parmi les plus élevées des pays du monde. Ce que je dis est banal et connu mais l’observation qu’on en peut faire est navrante. Sommes-nous vraiment devenus ingouvernables, ou gouvernables seulement lorsque l’on a renoncé à toute réforme, c’est la question courageuse et lucide qu’il faut se poser.

Les anciens ont déjà eu ce problème à résoudre et puis un jour ils ont cessé de lapider leur chef, ont détaché un bouc de son enclos, l’ont lâché dans les rues de leur ville et l’ont lapidé, ils avaient inventé le bouc émissaire, c’était déjà une preuve de civilisation, mais je suis certain qu’aujourd’hui la mise à mort d’un animal (qui n’est plus à l’heure du jour, ni dans nos mœurs anti-spécistes) ne résoudrait rien. Considérons alors que la mort symbolique par réseaux sociaux et manifestations publiques a aussi sa propre force d’apaisement ou de lassitude mais disons-nous tout de même que ce n’est pas cela qui ressoudera un vieux pays qui donne l’impression d’avoir perdu confiance en son avenir alors que le monde avance sans tenir compte de lui et de ses querelles nationales permanentes.

Il y a des jours comme ça où je regarde l’actualité défiler sur les écrans avec une mélancolie toute …démocratique . 

LA MAIN TREMBLANTE

Faut-il encore rappeler devant cette fébrilité à légiférer vite qui semble atteindre nos dirigeants comme soucieux d’écarter les orages d’un côté avant qu’ils ne surgissent de l’autre, ce bon conseil de Montesquieu dans Les Lettres Persanes : « il ne faut légiférer que d’une main tremblante » surtout lorsqu’il s’agit de la vie et de la mort.

Voici qu’on propose de reprendre au bond les travaux d’une « convention citoyenne » de  184 membres constituée en septembre 2022 qui vient de rendre un rapport sur la question de la fin de vie au Président de la République avant que cela ne préfigure une loi qui amplifie et complète la loi Claeys-Leonetti du 2 février  2016.

De ce que l’on sait de ce rapport c’est qu’il insiste sur la nécessité de développer partout l’accès aux soins palliatifs pour apaiser les souffrances et accompagner les malades vers leur fin inéluctable lorsqu’ils souffrent d’un mal incurable. Cela est bien, mais si on envisage un plan décennal sur le sujet, c’est assez dire que les conditions ne sont pas encore réunies pour un tel accès avec l’hôpital en déshérence, la multiplication des demandes car l’accès à de tels soins n’est pas possible partout.

Il semble en outre que cette amélioration de l’accompagnement, soit en soi une ouverture à « l’aide active à mourir » certes en respectant « le libre choix de chacun » de décider de sa mort par accompagnement sur le chemin de la sédation profonde et continue, mais avec les risques que cela peut entrainer pour les personnes vulnérables. Outre que ce geste lorsqu’il devra se produire posera de sérieux cas de conscience aux soignants on peut aussi s’inquiéter des « tentations » dans une situation où le système de santé est parfaitement tendu comme on l’a constaté récemment lorsqu’il fallut dire qui on choisissait de sauver au pire de la crise du COVID.

Sur cette lancée et dans la logique des choses, se pose la question de légaliser « le suicide assisté » d’abord et « l’euthanasie » ensuite ? La volonté du patient est requise dans tous les cas, dit-on mais on voit bien sur quelle ligne de crête on s’apprête à marcher.

Comme on le sait, toute nouvelle loi crée de nouveaux usages et appelle à son extension. Songeons par exemple à l’IVG et à ce qu’en disait madame Veil en 1975, qu’elle doit être « une exception et un ultime recours pour des situations sans issue sans que la société paraisse l’encourager ». Nous en sommes bien loin, ce droit est devenu un droit des femmes à disposer librement de leur corps, le délai de prescription est maintenant de 9 semaines et on songe à l’inscrire dans le marbre de la constitution. Qu’en dire à ce stade ? Rien d’autre que : « c’est la loi » ! Si demain on en vient à l’euthanasie ce sera la même conclusion : « c’est la loi ». D’autres pays l’ont fait, alors pourquoi pas nous ? Chacun y verra un progrès ou non mais l’exception est devenue la règle du possible et même du conseillé sur laquelle veillent ceux et celles qui militent en ce sens.

Si le droit de mourir doit suivre le même chemin, l’homme s’affranchirait peu à peu de toutes ses déterminations naturelles, il deviendrait maître absolu de son apparition sur terre et de sa disparition. Sauf qu’entre les deux apparaît la conscience et que celle du départ implique la réflexion sur ce passage, la possibilité d’un choix par réflexion.

Un passage sur terre. C’est assez dire que ce n’est une fin en soi que pour tous ceux qui ne croient pas à une vie après la mort. Qu’on nous permette cette réflexion en ces temps de Pâques. 

Or, s’il est une civilisation qui a posé en son centre l’idée d’une vie après la mort, c’est bien la civilisation occidentale en ce qu’elle est (peut-être faut-il déjà dire qu’elle fût) une « civilisation de l’âme ». De Platon aux Chrétiens, de la philosophie à la religion, les occidentaux ont posé comme principe le « souci de l’âme », la permanence du principe spirituel qui habite puis quitte les corps. Sinon pourquoi « tant de tombeaux de vers et d’épitaphes » ? Et même si Socrate concède que l’immortalité de l’âme est « un beau pari à courir », il ne va pas vers l’issue sans débat. Dans le temps on enseignait en classe de philosophie que « philosopher, c’était : apprendre à mourir » et le Phédon de Platon est tout entier occupé de cette question : Que devient l’âme après la mort ?

Mais l’âme, qui s’en soucie encore à part les chrétiens peut-être ? On veut soulager la souffrance c’est essentiel, mais que fait-on de l’espérance et qui accompagne le passage à l’heure où l’on ne meurt plus chez soi et le plus souvent seul loin des siens. La sédation par perte de conscience est une bonne chose lorsque le terme est inéluctable, mais qui va tenir la main, chuchoter les dernières paroles, fermer les paupières et donner le baiser du départ de ceux qui nous quittent ? Là-dessus la loi est muette et c’est normal, mais la question reste ouverte et elle est sociétale tout autant que religieuse. Elle est sociétale en ce qu’elle donne bonne conscience à ceux qui abandonnent leurs ainés au départ sans souffrance, elle est religieuse en raison de « la sortie de la religion » qui caractérise notre temps. Compassion collective et solitude individuelle. Comme on sait : on meurt seul, mais parfois accompagné.

Je lis par ailleurs que cette loi sur la fin de vie ouvrirait « une voie française vers la mort ». J’y vois un sombre présage, j’aimerais tant que l’on légifère aussi sinon plus sur une voie française vers la vie, à vivre mieux et plus longtemps. Mais je ne ferais pas de mauvais esprit et je n’accable personne, seule la précipitation m’inquiète. Ceux qui devront voter la loi devront le faire en leur « âme et conscience » comme on dit.

YOUR MAJESTY, DEAR CHARLES THE THIRD,

What a Pitty ! quel dommage que vous n’ayez pu effectuer ce voyage prévu en France, la première des nations que vous eussiez visitée avant votre cher Commonwealth ! Un contretemps comme on dit en langage diplomatique mais qui n’a de temps, que le nom car en matière de navigation vous n’auriez rien eu à craindre, chacun sait vos états de service dans la marine royale.

Enfin, quoi qu’il en soit, vous aviez choisi un jour de printemps et vous auriez arboré sans doute parmi vos multiples décorations, une de ces fleurs que vos compatriotes adorent, la jonquille du Pays de Galles ou le coquelicot de la grande guerre, celle-ci plutôt puisqu’il était prévu un dépôt de gerbe sur la tombe du soldat inconnu. Cependant, il faut bien dire que vous auriez trouvé en France un printemps un peu embrumé par les gaz lacrymogènes, qui pour vous rappeller le smog de la tamise n’en sont pas moins désagréables pour un nez royal tout autant que républicain, pour peu que vous eussiez circulé dans la capitale car il vous aurait bien fallu vous rendre dans votre ambassade de la rue du faubourg St Honoré, à deux pas de la place de la Concorde. Vous auriez alors jeté un coup d’œil aux trottoirs encombrés et on vous aurait expliqué que ces sacs poubelles entassés et souvent fumants ne sont pas du bon engrais pour semis, mais les résidus d’une contrariété nationale qui est le fond de notre tempérament gaulois.

Permettez-moi de profiter de l’occasion pour vous en dire un mot, bien que vous soyez au courant de beaucoup de choses, car vous représentez ce que peut-être les Français inconsciemment désirent au fond d’eux-mêmes : « un roi qui ne gouverne pas ».

Car l’instinct monarchique n’a pas disparu de ce côté-ci de la manche, il est resté refoulé. Vous le savez, on le répète, les Français sont sensibles à la grandeur, mais dès lors qu’on leur sert un dirigeant un peu trop grand, sa grandeur les dérange, un peu trop intelligent, sa morgue les irrite, un peu trop placide ou bonhomme sa mollesse les met en rage, c’est ainsi. Au fond notre peuple n’aime rien tant que congédier ceux qui le dominent ou veulent le gouverner en dépit de leurs opinions contradictoires. Certes ils sont républicains mais à la façon romaine où la roche Tarpéienne permettait au sortir du Capitole de précipiter les tribuns dont on ne voulait plus dans le gouffre (on dirait aujourd’hui les poubelles de l’Histoire). 

Peuple révolutionnaire à peine tempéré par des lois, vous le savez, le régicide et la Révolution fondent leur pacte initial depuis deux siècles. Cela donne parfois la migraine et le tournis, aussi vous auraient-ils regardé avec curiosité et peut-être avec envie. L’un de nos philosophes, le grand Renan qui disait de notre pacte social national qu’il était « un plébiscite de tous les jours » ne pensait pas si bien dire, pour un peu nous vivrions à coup de référendums comme une grande Suisse un peu impatiente et prompte à s’échauffer, loin de votre flegme légendaire puisant dans la profondeur des siècles.

Vous étiez attendu au Sénat, non point pour vous promener au jardin du Luxembourg, mais parce que cette assemblée plus assise que l’autre (qu’on a vue ces derniers temps légiférer debout dans un mouvement qui tient davantage du stade de football) et qu’on y tient un langage en général plutôt châtié. On devait y célébrer cette amitié Franco-Britannique qui a résisté à tant de querelles et de trahisons et vous auriez pu admirer en passant ce fauteuil de Napoléon qui reste là, vide de tout héritage, ce qui eut pu vous donner à sourire.

Vous regretterez peut-être la visite prévue dans le grand décor de Versailles pour un de ces dîners dont notre Président a pris l’habitude de gratifier ses hôtes de marque.  Vous auriez pu ainsi vérifier que l’étiquette était à la hauteur de vos attentes vous qui ne vous déplacez jamais sans vos 40 domestiques, lesquels veillent à ce que la cuiller du petit déjeuner comme du Tea-time, soit placée à 5 heures sur la sous-tasse invariablement.

Et puis on vous attendait dans le Bordelais, dans ces terres de Guyenne chères au cœur de tout Anglais. Vous aviez souhaité semble-t-il constater ce qu’il en fut des incendies de l’été dernier dans les forêts de pins car on vous sait attaché à la nature.  Peut-être rêviez-vous de ces chevauchées des cavaliers Plantagênets (joli nom en vérité, même si la France planta là des pins au milieu des gênets) en lutte contre ceux de Philippe-le-Bel durant la guerre de cent ans sur ces terres ? Qui sait. Mais votre présence prévue en ces lieux pour ouvrir un consulat à Bordeaux en disait long sur vos intentions dans une ville qui continue à envoyer ses enfants étudier à Oxford ou à Cambridge et qui sait, mieux qu’aucune autre que l’anglais est devenu la « lingua franca » du monde moderne. 

Ensuite vous vous en seriez retourné vous faire couronner dans votre pays en vous disant que finalement le Brexit a peut-être fait moins de dégâts en profondeur que la continuité démocratique dans nos peuples européens que ne lie plus qu’un accord de gouvernement chaque fois plus fragile et qui se demandent parfois ce que c’est que d’être Français à part le fait de se mettre régulièrement tous ensemble en colère. Leur auriez-vous suggèré de se donner un roi de parade et d’artifice ? Je n’irai pas jusque-là, quoique par les temps qui courent, nous eussions bien besoin de personnages hors du temps politique immédiat pour apaiser nos humeurs et prendre du recul avec l’Histoire .

DÉRAPAGES

Notre démocratie d’opinion s’est fait une spécialité des dérapages selon l’humeur de ses chroniqueurs ou de ses humoristes selon les cas. Humoristes bien souvent spécialisés dans l’attaque des personnalités politiques (il y en eût de féroces) et dont les dérapages furent, ou sont encore parfois à la limite du tolérable mais voilà, la loi du genre veut qu’on ne porte pas plainte dès lors qu’on est insulté si on est un personnage public, alors qu’avec nos ancêtres, cela finissait dans le pré à l’aube, une épée ou un pistolet à la main.

Mais il y a pire peut-être ou plus affligeant sans doute, ce sont les dérapages qui ont conduit à transformer l’hémicycle de notre Assemblée nationale le faisant ressembler à une réunion de chiffonniers comme on disait dans le temps. Mais quoi me dira-t-on, il y a toujours eu du chahut et des invectives à l’Assemblée. Peut-être, mais rarement les noms d’oiseaux ont volé aussi bas dans cette volière et rarement surtout la langue française ne fut utilisée à une si pauvre expression. On assiste à un déversement d’égout sans filtre et souvent un déversement d’égo et de ces haines sincères ou surjouées qui font monter l’écume aux lèvres et laissent les téléspectateurs sidérés. C’est donc là, l’Assemblée du peuple ! Rendez-nous les tribuns d’autrefois et leurs dérapages ciselés en mots d’auteurs repris plus tard par les gazettes qui par malheur n’existent plus mais avaient un avantage, – celui de l’écrit sur l’oral -, car de la bave à l’encre, la plume laissait au polémiste le temps du repentir.

Il y a hélas d’autres types de dérapages dans la réalité de la vie courante, par exemple celui de l’humoriste Pierre Palmade dont l’inconduite sur la route a eu les conséquences que l’on sait sur les personnes blessées, sur lui-même et sa carrière sans doute, dérapage soit dit en passant qui n’en finissait plus ces derniers temps de faire embardée sur embardée dans les media, l’endroit le plus glissant qui soit, indépendamment de la météo.

Il y eut aussi le dérapage de certains dirigeants sportifs dont la trajectoire les projeta brutalement vers la sortie. Au fait, s’est-on avisé que le mot en conduite automobile qui sert à la métaphore désigne la force motrice qui déplace la dynamique du devant sur le derrière. Dans la vie ordinaire cette partie de l’anatomie humaine donne lieu parfois à des dérapages verbaux ou physiques qui aujourd’hui conduisent les imprudents ou les harceleurs devant les tribunaux.

Au fond si nous sommes sur la mauvaise pente, la solution est peut-être d’apprendre à déraper, à maîtriser sa vitesse, son expression, à s’arrêter juste à l’endroit où la bienséance tolère une pointe d’humour ou de fantaisie. Mais attention en ce domaine désormais le mieux surveillé du monde, le moindre mot peut fâcher et vous valoir des ennuis. Que ceux qui ne peuvent résister à un bon mot se le tiennent pour dit, il peut leur en cuire, surtout s’il a trait à ce rapport homme/femme devenu par les temps qui courent ultrasensible.

Une police des rapports humains a pris la place de la sanction divine. Hier, le péché avait son exutoire dans le confessionnel et dans la pénitence. Fini tout ça, ce n’est pas Dieu qui est à craindre, mais les autres. Hier nous avions les ligues de vertu, aujourd’hui nous avons les associations de défense bien plus efficaces car elles vous ruinent une réputation en moins de deux. Malheur à ceux dont la notoriété excède le canton car leur dérapage, si c’est le cas, ne relèvera pas de l’encart dans le journal local mais de la mise en boucle dans les chaînes d’information en continu, et alors là ça peut faire un sacré feuilleton dont nul ne se relève intact. Ajoutez-y quelques ingrédients comme le sexe et la drogue et vous avez le cocktail parfait de l’assassin prédateur des routes de campagne, l’ogre d’autrefois.

Autant dire que je ne connais rien à l’affaire comme beaucoup, mais la curée médiatique m’a toujours dégoûté et si j’ai une compassion légitime pour tous ceux qui ont à souffrir du comportement délictueux du conducteur de véhicule automobile drogué ou alcoolisé, mais il y en a assez chaque jour et chaque semaine pour que, quelle qu’en soit la charge, on relativise un petit peu l’usage de l’accusation criminelle, et en tout cas qu’on attende le procès avant de rendre le verdict. Mais vous remarquerez comme les choses vont vite, on n’a plus la patience d’attendre, aussitôt fait, aussitôt condamné par le tribunal de l’opinion qui ne s’embarrasse pas de subtilités juridiques. Tout se passe comme si l’individu libéré et stimulé aux excès de toutes les manières possibles conduisait sa vie sur une route glissante, au risque du moindre dérapage qui va le jeter dans le fossé ou dans la fosse aux lions. 

Il m’arrive ainsi de faire des cauchemars de ce genre la nuit, mais qu’on se rassure c’est souvent lié à des difficultés de digestion … heureusement !


EN TOUTE INTIMITÉ…

Vous avez lu cela parfois sur un faire part de mariage ou de décès, lorsque les intéressés veulent rester entre eux, loin de tout tapage, surtout s’ils sont connus, vedettes de quelque chose ou pour quelque temps.
On les comprend, notre époque ayant donné les outils à chacun de prétendre à son quart d’heure de célébrité, nous avons tous plus ou moins étourdiment cessé de préserver nôtre intimité. D’abord parce que c’est facile, un clic et nous voilà offerts à tous, à la connaissance à l’appréciation de tous, gagnant des « followers » par milliers si cela se trouve, enivrés par ce succès soudain, devenant influenceurs ou influenceuses de comportements, nous livrant sans retenue à des jeux qui parfois se révèlent dangereux, pris par le vertige du narcissisme primaire si tentant dès lors qu’on est jeune mais qui n’épargne pas non plus les plus âgés. Et voilà nos vacances, nos repas, nos excursions, et davantage encore exposés sur la toile. Bien vite, les algorithmes des réseaux sociaux nous repèrent et nous tentent, les plus jeunes ne sont pas les moins accrochés : « Tic-Toc » et me voilà enchaîné pour un moment. Vertige de la jeunesse.

Mais les adultes, comment se sont-ils eux-mêmes soumis à cette tentation vite devenue une addiction, les conduisant à livrer leur intimité : à quelques-uns d’abord, puis à plusieurs, lesquels relaient ensuite et deviennent un nombre indéfini, de sorte que plus personne ne sait au juste combien il y en a. le sort enviable d’être connu ou reconnu devient vite un cauchemar, si d’aventure cette notoriété de l’inutile se transforme en persécution. Cela on le sait, et pourtant rien ne freine la crue exhibitionniste qui pousse l’humanité technologisée à la plus grande transparence, comme si la barrière de l’intime une fois franchie dans un sens, c’en était fini, qu’on portait son intérieur à l’extérieur comme un gant retourné, un tatouage psychique qui ne s’effacerait plus. Drôle d’époque ! À quel besoin répond une si étourdissante fièvre ?

Certains soutiennent que c’est la réponse à l’anonymat de nos vies, à la dissolution des liens qui resserrent, à la famille éclatée, à la solitude, au manque de considération, d’attention ou d’amour qui soudain est virtuellement compensé par la satisfaction narcissique de poster la belle image de soi, non celle qu’on a saisie de vous, mais celle qui correspond à l’image idéale que chacun porte en soi et veut que l’autre regarde. « Google, fais que je sois la plus belle, le plus beau ! Google fais que l’on m’aime, moi plus qu’aucun autre » ! Qui ne devine que le nom de ce moteur de recherche est l’autre nom de « maman », la maman technologique, lieu de la première et secourable intimité protectrice, celle dont il faut bien se détacher et dont la psychanalyse nous apprend qu’on n’y réussit jamais tout à fait (voyez le succès de la série : En Analyse). L’amour de la maman, le seul dont on ne doute jamais.

Qui refuserait une telle tentation dès lors que la technique permet de l’assouvir ?

C’est pourquoi on ne jettera la pierre à personne, nous sommes tous dans le même bateau avec les mêmes faiblesses. la littérature n’échappe pas à ce travers, elle aussi a fait de l’intime le territoire de « l’autofiction », le roman de soi, la confession infinie, l’autoanalyse publiée, (un bon tiers de la production romanesque en France certaine années… ); je vous laisse mettre des titres et des noms à la chose ; cela va des meilleurs aux plus pitoyables ou au plus scabreux et ces derniers temps on a franchi bien souvent la porte de l’intime avec impudeur et allégresse et des tirages faramineux ! Fini le misérable tas de petits secrets comme disait Malraux. C’est l’air du temps: tous à poil, tous dénudés

psychiquement et tous se défendant férocement de la moindre atteinte à notre intégrité physique, le moindre attouchement même verbal exposant au pire. Impudeur virtuelle et pudibonderie sociale, recto et verso de la même monnaie.

Comment ne voit-on pas qu’en se livrant ainsi à l’admiration supposée des autres, on se livre non seulement à leur malveillance mais aussi à la surveillance des systèmes et que l’ombre de « Big Brother » s’étend sur nos vies comme c’est déjà le cas en certains endroits en Chine. Plus d’intimité, plus rien de caché, tout socialisé, exposé, partagé, dévoilé. Est- ce ça que nous voulons, cette vie d’escargot sans coquille, cette vie de créature sans mystère ?

Vous me direz que le système a déjà tout prévu, « l’avatar » n’est pas autre chose et les progrès de l’intelligence artificielle vont même supprimer le désir d’être quelqu’un puisqu’en un clic nous pourrons être n’importe qui. Est-ce là le bonheur ? Est-ce là la vie enviable ? J’ai tendance à penser que non, mais peut-être ne suis-je pas le seul ?