DIVORCE À L’ITALIENNE

Ça avait commencé par des petits mots doux, de ceux qu’on prononce en campagne électorale vis à vis d’adversaires qui ne sont pas encore en charge de responsabilités d’État. La réponse ne s’est pas faite attendre dès lors qu’elle a été possible. On en a mesuré récemment l’escalade avec le rappel de l’ambassadeur de France en Italie, car c’est bien sûr de cette relation franco-italienne qu’il s’agit. Du côté transalpin on déclare avoir été agressé, du côté français aussi. Mais qui a commencé ? La France semble-t-il. À la question posée de savoir pourquoi, la réponse vaut celle de l’élève pris en flagrant délit dans la cour de récréation : C’est pas moi monsieur, c’est lui. Non c’est lui. Toi ou lui ? Lui monsieur ! Pourquoi ? Pour me rendre. Mais c’est toi qui a commencé ! Oui M’sieur, mais je m’étais rendu le premier. On voit par là que de la cour de récréation à la cour des États, il n’y a que la distance des générations. Le Président français, fin stratège a tenté récemment de déminer la situation par une de ces parades médiatiques dont il a le secret. Pourtant le malaise persiste.
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AGRICULTURE : SALON OU MUSÉE ?

C’est toujours avec un certain sentiment d’émerveillement mêlé de nostalgie que les citadins rejoignent la campagne, tantôt parce qu’ils y partent en vacances et en admirent les paysages, tantôt pour qu’ils en consomment les produits de plus en plus « bio », de plus en plus « nature », allant jusqu’à se mobiliser pour que ça dure encore. Le motif « campagne » a ainsi rejoint l’amour et la défense du patrimoine dans le cœur des français, quelque part entre une émission de Jean-Pierre Pernaut sur TF1 et une autre de Stéphane Bern célébrant les vieilles pierres.
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L’INSULTE

Soudain, nous avons vu le visage de la haine. On a raison de dire qu’une image vaut mille mots en termes de communication. Celles que nous ont livrées les télévisions le samedi 16 février sont des plus terribles. Un visage déformé par la colère, défiguré par la haine comme dans ces plans de cinéma d’Eisenstein est soudain apparu sur les écrans. Le visage blême d’un homme avec une petite barbe rousse taillée à la façon des islamistes Salafistes, en plein cadre, vociférant des insultes à l’endroit d’un autre, plus âgé, déjà voûté sous l’insulte, avec ce retrait du corps qui attend les coups, ce regard incrédule derrière des lunettes et ce sourire figé devant l’incroyable qu’on sait cependant possible. Telle était la scène, terriblement connotée, car vue tant de fois au cinéma, comme dans les images de guerre en Europe. Elle opposait cette fois, un « gilet jaune ! » au philosophe Alain Finkelkraut devenu la bête noire d’une opinion publique chauffée à blanc par la haine de tout ce qui n’est pas conforme à ce qu’elle pense être ses intérêts immédiats. L’insulteur participait à l’un de ces défilés de Gilets jaunes qui n’en finissent pas de défiler sans autre but désormais que d’occuper l’espace public et d’en perturber l’ordonnancement. Me revient alors ce passage écrit par Jean Clair à propos de l’humilité et de l’humiliation dans un beau livre consacré à Dachau : « rappeler que l’homme est humble, c’est rappeler qu’il est né de l’humus. Humilier autrui, c’est en revanche non seulement le ramener à l’humus, le réduire à l’humilité de la poussière, des feuilles, du fumier c’est le traiter plus bas que terre, l’enfoncer dans cette couche primitive où le sol est pourriture et décomposition et dont la vie l’a dégagé. C’est réduire l’être humain à ce qui n’est pas de l’ordre du vivant mais de l’inerte et de l’inanimé, le dépouiller de sa forme et sa contenance, c’est le mortifier pour lui faire sentir les affres de la mort alors qu’il est encore en vie. Ainsi dit-on d’un visage sous le coup d’une insulte, qu’il « se décompose » comme les feuilles sous l’humidité, de la paille, du fumier, une sorte d’inhumation lente à petit feu. On dit d’un homme insulté qu’il « perd sa contenance ». Il se tenait là, devant vous, entier, intègre, assuré de l’unité de son être entre le tout et les parties, de la cohérence entre son allure générale et ses traits particuliers. Sous le coup de l’insulte, le délicat et subtil édifice du visage vacille se disloque. » Plus tard, on apprendra que l’insulteur est « un père de famille de 36 ans ». Soudain, par la force d’une désignation politiquement correcte, voici l’insulteur devenu plus humain, presque inoffensif. Son avocat dira qu’il n’est pas antisémite, seulement un peu salafiste. Mais qui doute un instant qu’une arme dans la main de cet homme en eut pu en faire un meurtrier ? On pense alors à ce que dit longuement Levinas du visage, mais à ceci en particulier : « le meurtre seul prétend à la négation totale du visage. Autrui est le seul être que je puisse vouloir tuer ». Il est des moments ainsi où nous avons le sentiment de marcher au bord des gouffres.