LES DOCTEURS

J’avais une grand-mère qui vécut bien vieille et qui avait pour habitude de dire : « moi les docteurs, je les aime… mais de loin », et comme elle pétait la santé, cela faisait beaucoup rire.

À y regarder le plus près, elle n’avait pas tout à fait tort, car le docteur est à la maladie, ce que la lumière est à l’ombre : une clarté, un espoir, quand les ténèbres menacent les jours, mais il faut bien admettre que sa présence est d’abord un signe d’inquiétude. Certes, il est le secours, la sauvegarde, le soutien et l’espoir mais parce que nous nous trouvons mal ou en danger. C’est pourquoi sa visite procure toujours un mélange d’attente et d’appréhension, puisqu’il détient le diagnostic qui est aussi le verdict et la réponse à cette question permanente que la mort pose à la vie : celle de la guérison et du temps. Alors, tant qu’on a le loisir de l’aimer …de loin, on évite la question.

Mais en cette période de pandémie durable qui est le temps du souci de soi, de la crainte pour soi et pour ses proches, l’occasion d’une réflexion un peu plus approfondies sur l’existence et sur la fragilité de l’homme, il nous revient aussi à l’esprit que le plaisir de vivre va avec l’insouciance, le silence des organes, ce moment où la vie est vécue avec le sentiment qu’elle peut durer toujours, et que la médecine en somme est un recours qu’on ne sollicite que le plus tard possible, – à tort bien entendu -, puisque bien se soigner c’est prévoir qu’on pourrait être malade. Mais qui y songe à 20 ans, au temps de la jeunesse, de la force vitale, du plaisir d’exister ?

En ces temps incertains que nous vivons ou la maladie nous a pris par surprise, cloués chez nous comme des papillons sur les planches de Liège, assignés à l’écran ou le décompte démoralisant des morts du virus égrène inéluctablement ses chiffres, nous avons pris un sacré coup sur la tête. Ce n’est plus la visite à domicile(qui a disparu depuis longtemps des mœurs médicales, afflux de patients oblige), c’est un basculement brutal qui nous plonge dans une salle d’attente médiatique. Nous n’ignorons plus rien de l’hôpital, de ses difficultés, des lits manquants, des urgences saturées, des infirmières mal payées et dépassées. Nous sommes, sommés de prendre parti, pour ou contre le gouvernement : a-t-il bien fait ce qu’il fallait faire ? À-t-il mieux fait que d’autres, moins bien ? Les thuriféraires et les censeurs s’en donnent à cœur joie, chacun menaçant l’autre de procès, et l’anxiété monte à la mesure de l’indécision et de la perplexité. Le juridique prenant en charge, ce que le médical ne peut soigner : la faute. La Fontaine n’avait pas tort : au terme de la peste du XVII°, tous crièrent : Haro sur le baudet ! Rien n’a changé sous le soleil !

Car il y a les  docteurs « tant mieux » et  les docteurs « tant pis », tous capables de rédiger une ordonnance politique, sur la scène du grand manège des chaînes d’information continue.

Et puis il y a les vrais docteurs, les virologues par les temps qui courent passent en prime time, certains jeunes et d’autres vieux, certains narcissiques, d’autres blasés, certains rassurants, d’autres inquiétants, certains laxistes, d’autres Père fouettard : question de tempérament. Il y en a là une belle brochette, et chaque grand hôpital doit avoir le sien adossé à la réputation de l’institution qu’il représente.  On les écoute, on les observe, d’anciens ministres démonétisés reviennent dans le poste où ils apparaissent avec une fraîcheur d’opinion rassurante, ce qui fait qu’on se dit : tiens pourquoi en a-t-on changé ? Pourtant, à l’époque, on s’était bien moqué d’eux. Oui mais les temps changent et nous aussi, avec nos opinions flottantes et notre ignorance régulière. Bref le théâtre de la vie courante et des disputes ordinaires reprend ses droits.

Mais déjà on sent la lassitude : bon gré mal gré nous avons vécu une forme d’arrêt forcé, comme un TGV en panne de caténaire s’arrête en pleine campagne et vous laisse là, confinés sans climatisation, en attente du docteur de la SNCF ! On  vient de voir un philosophe un peu oublié revenir sur le devant de la scène et expliquer que la mort des vieux est dans l’ordre des choses et qu’il faut penser d’abord à nos enfants. Tiens donc, la belle affaire ! Le monde d’après est déjà là avec ses soucis économiques, la crise sans doute et des difficultés nouvelles.

Du coup on prendrait bien congé des bons docteurs. Mais vont-ils quitter comme cela, la scène médiatique, avec leurs paroles d’oracle, leurs airs de gourous, ou d’analystes attentifs à la souffrance du monde ? Ce n’est pas pas certain, la pandémie n’ayant pas dit son dernier mot. Peut-être aurons nous demain une cartographie de la maladie comme on a une carte météo pour suivre, le soir à la télé, l’évolution mondiale du virus comme on suit l’anticyclone des Açores, pour savoir s’il fera beau ou mauvais, pour savoir si l’on pourra sortir à visage découvert ou masqué, avec notre thermomètre dans la poche comme on emporte un parapluie. Peut-être le monde de demain sera comme ça : le bulletin médical succédant au bulletin météo, chacun avec son présentateur vedette ; c’est pourquoi la sagesse populaire de ma grand’mère ne me  paraît pas si décalée que ça : « moi les docteurs… »

Mais c’était quand, déjà, ce temps d’insouciance ?

ÇA Y EST, ON ROUVRE LES LIBRAIRIES !

Bientôt déconfinés se disent les livres. Enfin des gens pour nous regarder, nous ouvrir, nous lire comme avant, mieux peut-être.

Mais non, ne rêvons pas : toucher les livres, ça ne va pas être si simple, ou alors il faut les nettoyer entre chaque passage. Mais enfin, c’est là tout le plaisir ! Les prendre, les retourner, lire leur quatrième de couverture, les palper, les reposer, hésiter, les reprendre, les feuilleter, en lire un peu, puis davantage, aller s’asseoir sur une chaise et continuer, parfois jusqu’au bout ! Oui, oui, ça existe, on en connait de ces lecteurs qui confondant bibliothèque et librairie s’installent comme ça de longues heures à lire, puis qui reposent le bouquin et rentrent chez eux, tranquilles et insouciants.

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LES VIEUX ?

Jamais on n’a tant parlé des vieux. Cela nous change un peu, il faut dire : jusque-là, il n’y en avait que pour les jeunes. Le jeunisme avait atteint la société depuis longtemps et chacun voyant s’empiler les ans, faisait de son mieux pour paraître toujours jeune. Il fallait s’adapter et vite si on ne voulait pas lâcher la corde, trébucher dans l’escalier, confondre les numéros de téléphone dans sa tête, se souvenir de tout sans avoir l’air de rien et surtout éviter de dire : « de mon temps… »

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TRÉSORS DES BIBLIOTHÈQUES

Ces temps de confinement sont plus que favorables au rapprochement avec nos vieux compagnons, les livres. Même si nous sommes de bons lecteurs, nous avons fini par succomber, peu pou prou, (certains pas du tout, je sais) à la culture d’écran et négligé l’essentiel.

Mais peut-on vivre hors de son temps et se passer de cette information qui tourne en boucle en période d’inquiétude?

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PHILOSOPHES PAR NÉCESSITÉ

Du temps où l’on apprenait les fables de La Fontaine par cœur (mais peut-être en est-il toujours ainsi ?) on apprenait celles des « animaux malades de la peste ». Et comme toujours, c’était pour en tirer une morale ; rappelez-vous : « selon que vous serez puissant ou misérable…etc » Mais ce n’est pas ce qui nous retiendra d’abord ici. Ce sont les premiers vers de cette fable, les voici : « un mal qui répand la terreur/mais que le ciel en sa fureur/inventa pour punir les crimes de la terre,/ la peste…/ » Je fais cette allusion pour la bonne raison que jusqu’à une époque récente, disons jusqu’au XX° siècle on avait tendance à donner une explication à la présence du mal ou du malheur des temps : la culpabilité des hommes.

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