POST AVIGNON, THEATRE TRISTE

Le ton du constat est général cette année, accusant une tendance déjà à l’œuvre les étés précédents : la programmation d’Olivier Py, de plus en plus orientée vers le politiquement correct, les sujets de société et les sujets politiques, (ce qui en soi ne serait pas un problème si la dimension artistique était au rendez-vous) se révèle malgré les chiffres de fréquentation assez constants, une fois de plus, décevante.

Mais est-ce bien de théâtre politique qu’il s’agit dans ces plates représentations qui enfilent les lieux communs comme des perles ou comme des prières dans ces temples asiatiques où résonnent sans fin des litanies dans l’indifférence assoupie des fidèles en robes safran. Car c’est plutôt cela qu’est devenu ce système, une litanie à priori destinée à des spectateurs complaisants ou qui se reconnaissent dans celles-ci en se disant : nous sommes bien là où nous pensions être. Rien à voir avec le théâtre politique du début du siècle dernier, celui auquel Brecht avait donné la forme artistique requise (théâtre épique contre théâtre aristotélicien). Ici nous sommes dans une ville de Papes bien pensants vers lesquels une foule de fidèles se presse encore malgré la canicule et parfois le mistral. Certains regrettent tout de même la programmation des années Archambaud-Baudriller, dirigeants qui ont été récusés pour faire place à Olivier Py dans ce jeu de chaises musicales où ce dernier étant remplacé à l’Odéon par un grand nom de la scène, obtenait ce qu’il demandait depuis longtemps : Avignon. Et c’est ainsi que la dimension artistique s’affaiblit comme s’absentent les grandes signatures théâtrales capables de remplir la cour d’honneur de manière adéquate. Tout le monde aura remarqué que pour voir la magnifique « Cerisaie » de Simon Mac Burney, il aura fallu se rendre au Printemps des Comédiens de Montpellier. N’en jetez plus, le titre de la rubrique du Figaro dit tout : « Avignon de mal en Py ».

Mais ce mal, si mal il y a, n’est-il pas plus ancien ? N’était-il pas en germe depuis des décennies dans ce déplacement lent mais inexorable de l’artistique vers le social qui pointait en tant de colloques et cénacles et qui n’affecte plus seulement les grands festivals, mais aussi les établissements culturels de plus en plus surveillés, serrés, notés, évalués à l’aune de leur utilité sociale (et politique parfois) par des tutelles de plus en plus exigeantes sur le « rendu démocratique » qu’elles sont en droit d’attendre de leurs subsides ? N’est-ce pas là la question ? Ne sommes-nous pas passés d’un élan démocratique à un vécu bureaucratique en panne de ce grand projet qui portait la notion de service public du théâtre au cœur de la cité ? Et cette panne ne laisse-t-elle pas le champ libre à autre chose : au politiquement correct par exemple, au pouvoir de nommer aux fonctions qui a pris une importance démesurée au détriment des projets qu’il conviendrait de soutenir ? N’est-il pas temps d’accorder à l’artistique la place qu’il n’aurait jamais dû perdre ? N’est-il pas temps de porter la parole politique cette fois, à l’endroit où il est légitime qu’elle se formule, se manifeste comme telle, et qu’on comprenne enfin ce que l’État qui s’est reconnu une responsabilité culturelle dès le 24 juillet 1959 exactement (il y a 60 ans tout juste) par un décret toujours d’actualité, a envie de soutenir et de défendre.

On a parfois l’impression d’un grand vide qui se remplit d’un côté par la crue du culturel des industries du spectacle et de l’autre qui alimente les petits étangs de repos ou gît la conscience malheureuse de nos temps accablés. Le silence infini des espaces politiques à l’endroit de la culture effraie et le symptôme avignonnais n’est qu’un signe parmi d’autres de la maladie de langueur qui gagne la culture et nourrit ou alimente le sentiment général qui est au doute et au ressentiment avant qu’on se dise que décidément, tout ça coûte trop cher pour ce que ça rapporte.

Il faut sans doute rebattre les cartes, ne pas donner l’impression fausse qu’il y a des solutions simples à des problèmes complexes, mais une chose est sûre, lorsque l’art se met au service de l’idéologie du temps, il devient lui aussi conformiste et perd de son intérêt. Or la France des festivals, des Scènes nationales, des Centres dramatiques, des compagnies théâtrales a de quoi répondre à ces questions. Qu’on laisse l’initiative aux acteurs, aux metteurs en scène, aux artistes, et que l’Etat comme les collectivités s’en tiennent à leur rôle de garants de la liberté de création et alors se renouera le contact naturel de cet art dont nous continuons à attendre beaucoup avec le peuple auquel il se destine et qui l’attend.

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