SOLLERS: L’ÉCLAIRCIE

Lecture du dernier livre de Ph.Sollers. Je suis vis-à-vis de cet écrivain dans le même état où j’étais lorsque Godard faisait encore des films : en attente de quelque chose de notre présent. Un regard, une voix, un style, un propos. Godard nous parlait d’un monde, le nôtre, avec le recours de la fiction et du commentaire, Sollers c’est un peu la même chose, des romans qui sont autant de confidences, ratiocinations, compte rendus de lectures, de visites d’expositions, de réflexions.

Pas une vraie fiction donc mais un rythme, une pulsation, un regard et une brièveté qui coupe court. Et je trouve cela très moderne, beaucoup plus que ces fictions narcissiques qui font le fond de la production littéraire de ces dernières années. Alors cette fois, comme les autres fois, Sollers nous parle de l’amour, de l’amour des femmes, il va sans dire et de celui de sa sœur en particulier dont il parle avec émotion et retenue. Diable, l’inceste entrevu n’est pas une mince affaire. Donc Sollers séduit toujours et toujours, semble-t-il des femmes d’exception. À moins que ce soit lui qui les rende exceptionnelles. Sollers et les femmes, finalement le vrai sujet de son œuvre et à ce titre « Femmes » est peut-être son meilleur livre, celui autour duquel tout tourne. Alors évidemment Sollers nous montre qu’il sait voir les femmes, autour de lui certes, mais aussi dans la littérature, la peinture et qu’il sait aussi en parler. C’est aussi l’occasion pour lui de nous parler de son enfance bordelaise avec un beau passage sur le cèdre, cet arbre qui pousse dans nos villes en prenant la forme des géants. Je me souviens que Jean Nouvel en avait protégé un lors de sa construction de la fondation Cartier boulevard Raspail à Paris, au motif qu’il avait été planté par Chateaubriand. C’est à des détails de ce genre que l’on se sent fiers d’être français. Sollers parle aussi de cela en parlant de Paris et même s’il règle quelques comptes au passage, il donne à penser qu’il faut avoir cette profonde légèreté qu’il attribue à un peintre comme Manet par exemple pour être capable da la saisir. Manet, justement, Sollers en parle comme personne. C’est drôle, Manet passe pour le peintre d’une société qui du reste ne l’aimait pas mais qu’il révélait à elle-même dans sa futilité et ses audaces. Moi, j’avais vu, il n’y a pas si longtemps une exposition Manet et même si j’avais été sensible à l’Olympia et à ces portraits de femmes, ma foi, comme beaucoup je trouvais que Monet avait davantage de lumière et exprimait le XIX° avec plus de talent. Mais Sollers sait piquer la curiosité, faire voir autrement, parler autrement. Il sait regarder et voir ce diable. Bien entendu, entre Manet et lui, il y a quelque chose de commun : le regard porté sur les femmes. Ce qu’il dit des portraits du peintre : Berthe Morizot, ou telle ou telle grisette ramenée à son atelier ou ce qu’il dit encore de l’Olympia, cette Victorine que Manet aima, est superbe. Sollers sait rameuter l’époque, le contexte familial et social, les amis, les artistes de l’époque (Baudelaire, Mallarmé) et faire sentir l’originalité et le génie de Manet qu’on passe généralement sous silence par cette appréciation de peintre bourgeois, ou pire, de peintre de la bourgeoisie. Sollers répond : peintre de l’âme et de la sensation, peintre du nu comme personne, peintre de l’amour. Et s’il cite Picasso c’est en rival et en continuateur de cette voie. En revanche, il y a de l’amertume et de l’acrimonie chez Sollers lorsqu’il parle d’art contemporain. Injuste, certainement, mais c’est dans le trait et la formule qu’il excelle. Ainsi évoquant la centre d’art de la Dogana à Venise : « la grande poubelle ! » Bonsoir et bateau comme il dit. Alors qu’en est-il de ce livre qui s’appelle toujours Roman ? Une intrigue ? À peine. Le sujet, une liaison de fin d’après-midi avec une dame mûre et très jolie, très riche aussi, dans un studio rue du Bac à deux pas de son bureau chez Gallimard, autant dire son atelier d’écriture. Et voilà, le roman est fait de conversations (mais on n’entend pas la voix de la dame ni d’aucune autre sinon la sienne qui les évoque) de soliloques, de piques, saillies et réflexions sur l’époque, le temps, les mœurs, l’amour et …la peinture. La peinture en deux figures cardinales selon lui : Manet et Picasso. Pourquoi eux ? Parce que ce sont des peintres qui ont aimé et peint des femmes comme lui, Sollers, les écrit. Voilà, c’est tout et c’est assez. Au passage, il nous fait l’éloge de l’écriture, du « fait main », ces petites lignes pressées à l’encre bleue qui emplissent des feuilles de papier et dont il rêve qu’elles rejoignent un jour la bibliothèque de Shangaï parce que là-bas on honore la calligraphie. Sollers artisan donc, artiste de l’écriture qui fait roman de sa vie parce que de toute façon, la vie est plus intéressante que le roman, à moins que ce ne soit l’inverse.

Partager