VENISE: 55° BIENNALE

((/public/.maria_Lassnig_m.jpg|maria Lassnig||maria Lassnig, juin 2013)) peinture de Maria Lassnig. Que faire quand on est un jeune et brillant conservateur du New Museum of New York, quand on a presque quarante ans et qu’on vient de vous choisir pour présenter au monde une Biennale qui va rassembler près de cent pays et des milliers de visiteurs ?

Cette question, bien des responsables de cette « mostra d’arte » la plus prestigieuse du monde, se la sont évidemment posée et nombreux sont ceux qui comme en son temps Harald Szeemann rêvent toujours de faire l’exposition qui fera date. Mais pour cela, il faut une idée et une grande idée si possible. L’idée de notre jeune conservateur sera celle du savoir encyclopédique et du répertoire artistique qu’il convoque. En un mot : que peut-on savoir de l’homme et du monde par le biais de l’art ? Certes, la science ou la philosophie, les sciences humaines, la psychanalyse, la littérature seront d’un grand recours, mais pénétrer dans le « Palais encyclopédique » comme le rêvaient les hommes de la Renaissance est peut-être le rêve ultime de l’homme au XXI° siècle. Et voilà comment ce « Palazzo enciclopedico » a été suggéré à Massimiliano Gioni par une réflexion conduite dans les pas d’un artiste et penseur américain des années cinquante, M.Auriti qui avait le premier imaginé le « Palazzo mentale » de notre modernité. Au cœur de ce projet se trouve l’idée selon laquelle il est possible de saisir et de restituer les images qui ont pu incarner la connaissance intime et l’expérience du monde. C’est donc une sorte d’anthropologie en images qu’il s’agit de traquer puisque le monde se donne de plus en plus comme image et monde d’images. À ce stade, on effacera la distinction entre art noble et art populaire, entre professionnel et amateur, on prendra l’art tel qu’il est, tel qu’il se donne dans les ateliers comme dans les maisons de fous, dans l’art brut ou primitif et dans ses formes les plus élaborées sensibles d’abord à l’expressivité et au sens, davantage qu’à la légitimité des démarches. Ce brassage, cet « all over » est bien de notre temps et cette indéfinition est, selon son auteur, porteuse de sens tout autant que celle de l’histoire de l’art comme telle. Et d’abord, c’est une chose mentale, autrement dit qu’à la façon de Vinci Gioni écrit : « The Encyclopedic Palace is a show about seeing with eyes shut ». On passera donc du « Liber Novus » (le livre rouge du psychanalyste Carl Gustav Jung) aux compositions d’Augustin Lesage, de Dorothea Tanning à Frederich Schröder Sonnenstern, de Guo Fengyi aux agathes collectionnées par Roger Caillois ou au cabinet d’amateur de Breton, de l’univers de Schnyder aux toiles Vaudou ou aux images shamaniques des îles Salomon comme aux peintures tantriques du Radjhastan. L’art voyage ainsi sans frontière entre des univers inspirés, à la recherche de soi, de la connaissance, dans ce palais imaginaire bâti sur des plans invisibles. Cependant le commissaire prévient : ce qui l’intéresse dit-il ce n’est pas le spiritisme ou l’occultisme en tant que tels, mais les images que les artistes tirent de là, c’est l’artiste comme medium capable de traduire quelque chose de la réalité et de l’humaine condition. Ce qu’il traque au plus près, c’est la création artistique en tant que telle, quelle que soit la situation dans laquelle elle émerge. Cela rappelle en plus radical un type d’approche qu’on avait pu voir avec « les magiciens de la terre ». Certes, ce n ‘est pas la même chose ici car il s’y mêle encore cette recherche du sens et de la connaissance, mais cet « air du temps » souffle dans les 45 000m2 de l’arsenal ou tous ces artistes sont présentés. Aussi lorsqu’au détour d’une allée on tombe sur un espace confié à Cindy Sherman qui nous ouvre son musée personnel d’images rassemblées, de peintures votives ou de sculptures mystiques on se trouve alors en terrain connu et on reprend un peu pied et ce d’autant plus que c’est dans cette section que sont présentées les œuvres puissantes de Cathy Wikes, de Frédéric Schnyder, ou de Marisa Merz. C’est à cette dernière qu’est attribué le Lion d’Or de Venise 2013 ainsi qu’à Maria Lassnig présentée elle au pavillon central, une peinture dont la puissance expressive pousse aux extrêmes la représentation du corps, de la chair dans un dessin d’une force rare. (Le Lion d’or à cette dame de 91 ans est une tardive mais juste récompense). On comprend alors mieux le dessein de cet ambitieux commissaire : nous proposer une construction mentale objective, saisissable dans les traces d’artistes de tous horizons comme en un délire conscient qui cherche à saisir la totalité des mondes possibles dans leur expression tout en sachant que cette ambition ne peut être que déçue. C’est sur cette frustration me semble-t-il que joue la proposition qui à défaut d’être totalement convaincante est de nature à éveiller la curiosité. L’autre aspect de la Biennale, ce sont les pavillons des pays invités (88 cette année) où la plupart du temps on demande à un artiste de faire un show, de produire une mise en scène si possible métaphorique de nature à fixer l’intérêt médiatique et d’assurer le spectacle. Dans ce genre, les Russes avec leur pluie de pièces d’or sur la tête des visiteurs, les espagnols avec leur tas de gravats emplissant les salles, les américains avec la prolifération des œuvres de Sarah Szeh ont rempli le contrat. On passe, on regarde, on sourit ou pas et on continue son chemin. Seul le pavillon belge avec ce bel arbre blessé (Cripplewood –estropié) de Berlinde de Bruyckere nous aura paru dépasser son propos en induisant une vraie émotion (compassion) tant le rapport à l’objet dépasse l’intention et propose une œuvre d’art. Mais dans ce secteur, il est vrai, la visite est plus balisée pour l’amateur d’art. On aura quand même du mal à comprendre pourquoi le Lion d’or aura été donné au pavillon de l’Angola sinon en un clin d’œil où l’ironie se mêle à la provocation. Qu’on en juge : c’est dans un délicieux petit palais où loge la Fondation Cini et où l’on peut voir des toiles uniques de Pontormo,(portrait de deux amis) de Boticcelli, de Piero della Franscesca (une vierge à l’enfant) et quantité de vierges à l’enfant qui sont des merveilles, que s’empilent au sol des tas d’affiches dans lesquelles puisent les visiteurs lesquelles sont des photographies d’Edson Chagas qui représentent des murs et des objets sous le titre de « Luanda Encyclopedic city ». Faut-il y voir un écho du « Palazzon enciclopedico », toujours est-il que la plupart de ceux qui ont fait une ou deux heures de queue pour pénétrer par petits groupes dans ce lieu en ressortent perplexes. Un piège pour « happy few » ou un hommage tardif à « l’arte povera », on se demande. Tout cela alors que le succès public et la beauté de la proposition française au pavillon Allemand avec Anri Sala (Ravel/Unravel) par sa force, sa singularité et sa profondeur appelait à l’évidence à être désignée comme la plus belle œuvre de la biennale. Sans chauvinisme. Mais il faut à ce genre d’événement mondial son petit scandale qui mieux qu’autre chose assurera le Buzz comme on dit.

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