TÉLÉ CARMEN

L’œuvre lyrique la plus célèbre du patrimoine français, la réussite de Bizet qu’un temps, Nietzsche fâché contre Wagner opposait au grand maître de Bayreuth comme un hymne à la vie qui s’opposait aux passions sombres de la germanité était au programme du festival d’Aix en Provence. Malheureusement, je ne pouvais pas être à ce rendez-vous de la ville chaude aux fontaines moussues et aux beaux immeubles de pierre blonde, aux placettes traversées le soir après le concert qui semblent tout droit sorties d’un film italien des années cinquante, pas davantage à l’Archevêché où les voix des chanteurs font taire celle des martinets qui rasent la nuit en grandes glissades silencieuses. Un bémol cependant, Carmen était donnée au Grand théâtre de Provence, salle moderne mais fermée au ciel et vouée aux projecteurs. Le Russe Tcherniakov assurait la mise en scène dont on disait déjà grand bien. Frustration.

Heureusement la chaîne Arte diffusait l’opéra le jour même ou le lendemain et il était possible de suivre cette tragédie non « en live » comme on dit, mais en images et son différés. Ce regret avoué, admettons quand même que l’opéra à la télévision ou au cinéma ce n’est pas si mal pour peu que la prise de son et d’images soient bonnes et fidèles à l’esprit de la mise en scène. Là, c’était le cas et l’occasion pour nous de suivre cette revivifiante lecture d’une œuvre archi-connue. Et justement, là était la question : comment renouveler un genre inscrit dans une tradition séculaire d’espagnolade et de castagnettes, de sombreros et de mantilles, une œuvre dont chacun peut fredonner les airs les plus célèbres ? C’est là que Tchernialov propose quelque chose d’épatant. Il imagine qu’un couple en mal de sensations conduit par l’épouse insatisfaite amène le mari dans une sorte de clinique où se pratique la psychothérapie afin de réactiver ses registres émotionnels. Voilà le prétexte dans lequel s’inscrit cette Carmen jouée en costumes d’aujourd’hui hors tout folklore. Au début, on tique un peu et l’on s’attend à ces sempiternelles « idées » de metteurs en scène avides de nouveauté qui fatiguent par prétention et snobisme. Mais là, c’est tout le contraire, le parti pris se révèle convaincant. Débarrassée des idées toutes faites, la passion amoureuse apparaît à nu. Le décentrement du pivot dramatique sur le personnage de Don José, un peu falot, un peu ballot en renouvelle l’approche dramatique, le texte nous semble entendu pour la première fois et le metteur en scène agite ses personnages comme dans un drame contemporain allant jusqu’à faire rejouer la scène finale comme au début de l’opéra avec des personnages dédoublés qui poussent Don José à la folie et au meurtre. Nous pourrions dire comme au sortir d’une belle représentation théâtrale : génial ! Mais il y a plus, c’est que nous sommes à l’opéra où quel que soit le génie du dramaturge et le talent des acteurs, tout cela ne serait rien s’il n’y avait les voix surtout lorsque ces chanteurs sont aussi d’excellents acteurs comme l’exceptionnelle Stéphanie d’Oustrac (Carmen), Elsa Dreisig (Micaëla) ou Michael Fabiano (Don José) parfait dans son allure de cow-boy italo-Américain qui ne comprend rien à rien et succombe à des sentiments qu’il ne pensait plus pouvoir éprouver. Des soirées comme celle-là vous réconcilient avec la télévision !( bon à savoir, cette Carmen est visible sur Arte en « replay » pendant un mois !)

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