Dans certaines circonstances, il ne faut pas tourner autour du pot comme diraient les psychanalystes qui depuis longtemps ont assimilé le mot auquel l’on pense, au pot où dès l’âge du nourrisson on apprend à déposer la chose. Cette chose a un nom familier que tout le monde utilise, à tout propos, comme le plus expressif de ce qu’il a à dire. Ce mot, c’est le « caca », la merde, le merdier, dont les expressions déclinées fleurissent le langage : « je suis dans la merde », « vous me faites chier », « quel merdier ! », « je m’emmerde à cent’sous d’l’heure ». Pas besoin d’être le docteur Freud pour avoir remarqué que la pulsion anale et la pulsion orale ont la même origine et le même but : expulser avec force quelque chose qui constipe au propre comme au figuré, en un mot, libérer une pulsion.
Bien, mais nous ne sommes pas dans une caverne, une cour de récréation, un terrain vague où tout endroit propice à notre relâchement. Nous vivons en société et à la différence des animaux, nous avons inventé les lieux d’aisance afin de ne pas infliger à nos contemporains nos humeurs et sécrétions intimes. C’est en cela que nous sommes civilisés. De plus, nous disposons de la parole pour traduire ou évacuer nos affects. Et la parole, s’autorise parfois, ce que la bienséance réprouve. « Vous êtes de la merde dans un bas de soie » aurait dit un Napoléon exaspéré à un Talleyrand exaspérant. Jolie métaphore ! « Merde » aurait dit Cambronne aux Anglais, avec cette assurance gaillarde d’un Gaulois à moustache qui ne s’en laissait pas conter par l’arrogance insulaire. « Je vous dis merde » se souhaitent les candidats aux examens et les acteurs avant de monter en scène. Entendez par là, « faites de votre mieux ».
Car tout est là, il faut faire à propos si l’on veut être au mieux avec son corps. Savez-vous que c’est là l’origine de l’expression en forme de salut qu’on utilise depuis le XVI° siècle ? « Comment allez-vous ? » Question saugrenue si l’on ne s’avisait de savoir si notre interlocuteur était de bonne ou de mauvaise humeur selon qu’il avait faut ou pas son caca journalier. La constipation est mauvaise pour l’humeur, on sait cela depuis Molière chez qui les docteurs armés de clystères poursuivent leurs patients en vue d’un lavement.
Voilà le fondement de la médecine si on peut dire. Et quant à la personne royale, la première question posée par son médecin au lever était celle-ci : « sa majesté est-elle bien allée ce matin » ?
Il est des jours, on le sait au moins depuis Louis XIV qui ne cachait rien à ses médecins et courtisans, où le Roi a le droit et même le devoir d’entretenir ses sujets de ses emmerdements, car c’est cela le plus important. Il faut que le roi aille bien pour pouvoir gouverner comme il faut. Son humeur en dépend. Bien entendu le langage de cour avait pour cela inventé des périphrases et l’on s’exprimait avec litote.
Napoléon, un militaire plutôt rude avait d’autres manières et nos Présidents et même nos parlementaires, bien qu’ils sachent qu’ils ne devraient pas dire ça, se lâchent parfois et même bien souvent. En public, c’est gênant, en privé tout autant, d’autant que les gazettes qui reproduisent leur propos ont longtemps servi à se torcher, c’est du reste pourquoi quand on les déteste on les traite de torchons. Tel est le destin des mots de finir parfois à la tinette.
Mais on aura compris que ce long détour est fait pour en venir à l’anecdote qui fit grand bruit dans le petit landerneau médiatique, au Parlement et dans les gazettes. Le Président a dit un gros mot ! Un mot en cinq lettres, qui traduisant une irritation et a de ce fait désigné une population comme telle : les emmerdeurs. Ceux-là même qui ne veulent pas obéir à la raison d’État, au bon sens, à la logique des médecins et à l’intérêt général.
Eh quoi, y a-t-il là lieu de faire si grand tapage lorsque chacun emploie ce mot du dictionnaire chaque jour, à tout moment et à chaque contrariété ! Faut-il voir là un manque d’éducation suprême et aller à se demander si De Gaulle un jour aurait pu dire ça ? En public sans doute pas, mais en privé ? Bref, ce jeune Président commence à en agacer plus d’un et ses dérapages tombent à pic pour nourrir la détestation qu’il suscite chez certains. Mais voyez comme sont les choses. Si un seul mot est susceptible d’enflammer les esprits, c’est que nous sommes attentifs au sens des mots. Faut-il que nous soyons une nation littéraire tout de même ! Et puis quoi, vous ne vous souvenez pas de cette chanson d’Aznavour se rappelant le bon temps où il avait encore « ses amis, ses amours, ses emmerdes ». Trivialité ou sincérité. Il y a des moments où ça fait du bien d’entendre reverdir le langage. Ce n’est pas le cher Georges Brassens qui dirait le contraire dans sa superbe chanson un brin misogyne au titre éloquent : « elle m’emmerde, elle m’emmerde », dont j’ai eu soudain envie d’écouter les rimes, évoquant une époque où on disait les choses sans avoir peur des mots !