mélancolie démocratique

Les Français comme d’autres avant eux, mais eux spécialement, n’aiment rien tant que trouver un Bouc émissaire qu’ils chargeront de toutes les fautes, frustrations, colères du moment. On se souvient ou l’on sait que ce phénomène est apparu dans le monde antiqueet qu’on en trouve trace déjà dans le Lévithique. Il est le moyen de se débarrasser de la violence par la violence et le sacrifice de celui qui est désigné comme cause de tout. Vieux mécanisme et vieille méthode qui ne fut pas sans effet dans la longue histoire des peuples.

Les Français ont ainsi fait avec leur roi, Louis XVI et depuis ce temps, ont lié leur destin à l’impatience démocratique. La IV° République à cet égard fut un modèle. À peine a-t-on élu quelqu’un à quelque haute fonction qu’il faut qu’on l’en décharge en lui faisant porter tout ce qui semble entraver le bonheur du peuple. Illusion populiste on le sait, le gouvernement du peuple par le peuple, directement sans représentants, sans corps intermédiaires aboutit toujours au même désastre : le désordre d’abord, la tyrannie ensuite. Néanmoins la République grâce à sa constitution et à ses lois imposa « le temps nécessaire ». Mais celui-ci paraît de nos jours trop long.

Le président Mitterrand à son époque voulait « donner du temps au temps », depuis cette époque on dirait que la durée s’est envenimée. Nul n’a plus le temps d’attendre. Nos derniers présidents furent précipités vers la sortie sans avoir eu le temps long des grandes réformes de structure et de remise en marche du pays toujours différées et gagées sur une croissance hypothétique ou provisoire. Ce dernier en a un peu plus mais on voit à l’impatience qu’il suscite qu’on le mettrait bien dehors dès lors qu’il ne satisfait pas aux attentes momentanées, hors toute considération de nécessité et de perspective. 

C’est donc le parfait bouc émissaire. Nous n’avons pas avancé d’un pas dans nos mœurs politiques et malgré nos lois, notre État-providence, nous en revenons toujours au même point : il nous faut un bouc émissaire. N’a-t-on pas récemment entendu un député en écharpe vouer notre Président actuel au même destin que le dernier de nos rois ? On se dit que le dérapage verbal a quand même ses limites ! Si par cas on trouve un tempérament qui s’offre à la polémique, qui ne fait pas profil bas, qui fait face à l’adversité, alors on le juge méprisant, insensible et la colère augmente à la mesure des défauts qu’on lui prête. Mais enfin, un peuple intégralement et constamment en colère, cette casserole qui bout sur le feu des médias en ligne ou officiels, qu’on ne parvient pas à attiédir et qu’on transforme en instrument de protestation ensuite  ne dit autre chose que ceci : nous comptons trop sur l’État-providence nourri à l’impôt, aux prélèvements sociaux et à l’emprunt et pas assez sur nous-mêmes.

Nous avions construit un beau modèle social au lendemain de 1945, c’est entendu, mais comme toujours de petites dérives en petits et grands échecs ou erreurs de trajectoire nous en avons affaibli les fondamentaux, chacun le voit bien mais il a été trop souvent indécent de le dire. La prise de conscience collective de la situation est douloureuse on le sait bien, c’est pourquoi le bouc émissaire est une illusion nécéssaire à la croyance en notre bien-être futur et une aubaine pour toutes les démagogies et tous les démagogues.

Mais même le changement de chef n’est plus une assurance sur le futur. On le voit lors des élections présidentielles au taux de participation électoral et on entend régulièrement cette énormité : certes nous avons élu un président, mais c’était par défaut et sans majorité réelle. Mais quoi, le système électoral à deux tours ne conduit-il pas in fine vers une majorité quoi qu’il en soit ? À dénier ainsi la réalité, c’est le mécanisme démocratique que l’on invalide. Voit-on bien où cela nous mène ? Car demain sera comme aujourd’hui ; on pourra faire toutes les réformes électorales qu’on voudra on retrouvera ce qui nous mine et nous transforme, ce qu’un sociologue a défini comme notre difficulté à nous unir dans un effort commun. Il en résulte cette « archipélisation », soit l’émiettement du corps social en une multitude de causes de croyances et d’intérêts qui ne peuvent se coaliser tous ensemble que lorsqu’ils rassemblent ceux qui ont le sentiment d’être unanimement maltraités.

Ce qui m’inquiète et me préoccupe c’est que dans un tel contexte ce qui nous lie et nous relie dans ce beau pays qui est le nôtre ce sont les passions tristes, les peurs, les colères qui entretiennent en nous le sentiment permanent de l’injustice sociale et ce avec un État qui prélève et redistribue une part de la richesse nationale parmi les plus élevées des pays du monde. Ce que je dis est banal et connu mais l’observation qu’on en peut faire est navrante. Sommes-nous vraiment devenus ingouvernables, ou gouvernables seulement lorsque l’on a renoncé à toute réforme, c’est la question courageuse et lucide qu’il faut se poser.

Les anciens ont déjà eu ce problème à résoudre et puis un jour ils ont cessé de lapider leur chef, ont détaché un bouc de son enclos, l’ont lâché dans les rues de leur ville et l’ont lapidé, ils avaient inventé le bouc émissaire, c’était déjà une preuve de civilisation, mais je suis certain qu’aujourd’hui la mise à mort d’un animal (qui n’est plus à l’heure du jour, ni dans nos mœurs anti-spécistes) ne résoudrait rien. Considérons alors que la mort symbolique par réseaux sociaux et manifestations publiques a aussi sa propre force d’apaisement ou de lassitude mais disons-nous tout de même que ce n’est pas cela qui ressoudera un vieux pays qui donne l’impression d’avoir perdu confiance en son avenir alors que le monde avance sans tenir compte de lui et de ses querelles nationales permanentes.

Il y a des jours comme ça où je regarde l’actualité défiler sur les écrans avec une mélancolie toute …démocratique . 

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *