CULTURE ET ART CULINAIRE

Tout ou presque a été dit après la mort du grand cuisinier étoilé Paul Bocuse, le plus souvent sur le registre laudatif, tout ou presque mais ce qui retiendra notre attention surtout, c’est le fait qu’après avoir fait sortir la cuisine de l’ombre au sens propre et figuré, après avoir imposé la figure du « Chef » allure et costume, il en a comme aucun autre imposé le modèle jusqu’à être reconnu meilleur cuisinier du monde, précurseur d’une nouvelle cuisine, art dans lequel s’illustreront de très grands cuisiniers, Michel Guérard par exemple pour rester dans la même génération de chefs trois étoiles de notre région. (il y en a près d’une trentaine en France selon le guide Michelin).

À partir de là, on peut soutenir qu’il y a bien une culture française de la table et même si des classements internationaux ont placé quelquefois les chefs étrangers devant les chefs français, nul ne conteste que la cuisine française soit l’une des meilleures du monde. À vrai dire, dans ce monde des chefs, la communauté qu’ils forment avec le soin mis par chacun à exprimer quelque chose d’unique issu de sa propre culture, aboutit à donner à ce métier l’aura culturelle qu’on lui accorde aujourd’hui. Il n’en a pas toujours été ainsi même si « la cuisine et les manières de table » pour parler comme Claude Lévi-Strauss a été désignée comme l’une des premières manifestations culturelles des sociétés humaines. Le classement fait par le grand anthropologue selon les catégories du cru, du cuit, voire du faisandé étant à relier à des questions de lignage, de dépendance, de hiérarchie, la preuve était donnée que la cuisine était bien l’un des premiers marqueurs culturels des sociétés et de leurs civilisations. Pourtant, cela n’allait pas de soi et on se souviendra sans doute de ce magnifique film du Danois Gabriel Axel : « le Festin de Babette » qui mettait en scène la « cérémonie » d’un repas concocté par une ex-Grand Chef de restaurant parisien à une assemblée de villageois puritains obsédés par le pêché sous toutes ses formes et celui de manger parmi les premiers. Non, la culture jusqu’à il y a peu de temps était un qualificatif que l’on réservait aux choses de l’esprit, des Beaux-Arts en particulier. Il faudra bien attendre le milieu du XX° siècle pour renouer avec les temps où manger et bien manger étaient reconnus comme plaisir des rois. On conviendra que cela soit devenu le plaisir de tous en admettant que l’on accepte d’en payer le prix. Mais au fond un plaisir de table est comme un plaisir de spectacle ou l’on vient entendre un grand artiste, une dépense culturelle indispensable au développement de son propre goût. Le goût justement, voilà par où la cuisine touche à la culture et aux Beaux-Arts. Partons du début. Si manger ne donnait pas du plaisir, on arrêterait bien vite de se nourrir, on sait fort bien que ce qui permet à la tendance vitale de se poursuivre et perpétuer, c’est le plaisir qu’on en tire. On appelle cela le goût de vivre. Cela est aussi vrai du sexe de que de la nourriture, c’est lié à l’appétit qui venant d’appétence comme on sait désigne la tendance à vouloir satisfaire ses besoins vitaux. L’animal la connaît comme instinct, l’homme a le pouvoir de la différer, de la travestir, de la rendre culturelle. On le voit ces temps-ci dans l’opposition entre la violence faite aux femmes dans certains cas et au contraire l’hommage fait à celles-ci par la courtoisie, le respect et quelquefois comme au beau siècle, le badinage, voyez Marivaux. Mais il y a autre chose, dans l’assouvissement du besoin de manger contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas l’estomac qui commande, mais le cerveau. Et comme la lecture développe l’intelligence, apprendre à bien manger développe le goût. Le goût étant comme chacun sait le mot par lequel on désigne l’appréciation de l’art. C’est pourquoi il n’est pas illégitime de considérer la cuisine (la bonne cuisine) comme un art et son usage social comme une culture. La question nous vient de savoir en fin de compte si nous devions qualifier aujourd’hui l’excellence de la culture française de savoir où placer la cuisine dans l’ordre des Beaux-Arts ?

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