LES ILLUSIONS PERDUES

J’étais l’autre soir devant mon petit écran à regarder l’émission dite des » Césars » qui consiste à faire défiler sur une scène des acteurs faisant mal en public ce qu’il font bien sur pellicule : jouer un rôle. Mais ce qui retint mon attention, ce fut le titre du film élu à la majorité des suffrages : « les Illusions perdues ».

Car au même moment, se déroulait sur la scène de l’histoire un autre film, bien réel celui-là, et si l’on veut, en plein tournage, lequel pourrait porter ce même titre : les illusions perdues. Titre ou commentaire qu’on pourrait appliquer à cette séquence, c’est selon.

Illusions perdues d’une Europe qui pouvait se croire en paix depuis la dernière guerre mondiale malgré quelques accrocs ici ou là, par exemple dans les Balkans il y a quelques années. Cela se passa comme on l’observe au passage des tornades lorsque quelques vents violents qui suivent le cyclone décrochent encore des poteaux et des toitures avant de s’apaiser. Puis nous changeâmes de siècle et les batailles eurent lieu plus loin, au-delà de la méditerranée. Mais enfin, l’équilibre de la terreur hérité de la guerre froide semblait vouer l’Europe à tout le moins à une sorte de paix armée garantie par l’équilibre des puissances. Mais voilà que le vent tourne autrement et l’illusion de la paix recule.

Illusions perdues aussi de ces pays que les Russes appellent Frères pour mieux les étouffer, soudain frappés au cœur de leur démocratie toute récente et sommés d’en revenir aux conditions d’assujettissement à leur maître ancien. 

Illusions perdues de qui avait cru à la raison et à la diplomatie. Décidément le monde ne se conformait pas à cet idéal de « paix perpétuelle » caressé par les Européens au lendemain de la dernière guerre mondiale et résumé par ces mots : « plus jamais ça ». Constituée en communauté européenne, liée par des pactes de droit et de défense, l’Europe occidentale qui s’était longtemps crue à l’abri de toute surprise se réveille. Le retour à la menace nucléaire change complètement la donne, il faut bien en convenir.

Mais illusions perdues aussi du côté du nouveau Tsar de la Russie, constatant devant la résistance et la construction d’une coalition mondiale (dont la rapidité a frappé tout le monde), que son vieux rêve de voir se reconstituer l’ancienne URSS en plein XXIe siècle était certainement frappé d’obsolescence. Mais une chose est de constater que c’est une illusion, une autre et de s’en persuader ou d’un être convaincu par le rapport de force et la logique des situations. 

La découverte en réalité que font les protagonistes de cette pièce qui pourrait tourner au tragique, c’est que les peuples ont des aspirations qu’ils ne mettent pas toujours en pratique, mais, lorsque les circonstances s’y prêtent, ils peuvent soudain ressentir l’impérieux besoin de se hausser à la hauteur de ce que leur propose l’Histoire. Car un peuple n’est un peuple que dans l’acte par lequel il se constitue en disant non.  L’acte par lequel un peuple devient un peuple passe toujours par la volonté de dire non à son envahisseur ou à son oppresseur. La France de Valmy fit cette réponse et en un sens les peuples colonisées aussi plus tard. Avant cela, un peuple souverain comme tel n’existe pas, mais dès lors qu’il s’articule à cette notion supérieure de la liberté, rien ne peut s’y opposer. Le temps faisant son œuvre, l’illusion que l’on puisse le ramener en arrière est une pure illusion. Les Russes l’apprendront comme les autres.

Mais qu’est-ce qu’une illusion en fin de compte ? C’est une croyance, une conviction basée sur une appréciation inexacte des choses et du monde. Autant dire un rêve. Un rêve de puissance bien entendu, c’est toujours le pire en ce qui concerne les États. L’histoire est pleine de cimetières engendrés par des illusions d’empires et les pires sont celles des empires décadents. 

Devant ces grandes questions, il n’est jamais mauvais de consulter ses classiques et je n’en trouve pas de meilleur que la lecture du « passé d’une illusion » de l’historien François Furet, un livre paru en 1995, sous-titré (essai sur l’idée communiste au XX° siècle). Ce que n’avait pas dit le célèbre historien c’est que les illusions sont comme une dent malade : pour les arracher, il faut souffrir et au passage faire souffrir les autres. Nous en revenons toujours là.

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