Ces derniers temps, je fais des cauchemars, et je ne suis pas le seul à ce qu’on me dit. Une crainte diffuse que ne nous lâche pas, celle de ce virus qui guette ses proies, qui n’a pas de répit, qui est en pleine mutation. On le croit affaibli et voilà qu’il repart, fait de nouveaux morts ; en France on en compte maintenant plus de 80 000, c’est énorme, la taille d’une ville moyenne, effacée, comme soufflée par la tempête, 80 000 bougies soufflées, d’un coup, c’est une image ça. On dit : ce sont des vieux, des malades, comme il en meurt régulièrement, pas autant certes, mais beaucoup. Enfin on dit ça pour rassurer. On n’est pas rassurés pour autant.
On a beau avoir choisi le vaccin, il faut ensuite trouver moyen de se faire vacciner. Sera-t-on protégé pour autant, on ignore, on fait ce que l’on peut, on s’adapte.
Le gouvernement aussi s’adapte, ne vient-il pas de fermer, les centres commerciaux, et de mettre le couvre-feu à 18 heures. On ne se rend pas compte mais le couvre-feu, notre génération n’en avait entendu parler qu’en temps de guerre et d’occupation du territoire par l’ennemi mais tout ça est bien loin, voire inconnu. Voilà que nous adoptons ce vocabulaire guerrier, tout doucement sans nous en rendre compte. Le président avait dit : c’est la guerre ! On avait ri, on s’était moqué ; celui-là avec ses excès, ses coups de menton était en mal d’autorité sans doute pour dire ça. Mais voilà, il avait peut-être raison, c’est peut- être la guerre ; la drôle de guerre comme on disait en 39, une guerre qui ne dit pas son nom, qui avance à bas bruit, qui concerne le monde entier, et dont on a du mal à prendre la mesure.
Mais les guerres, on les gagne, ou on les perd, de toute façon elles ont une fin, cette pandémie, malgré le vaccin, semble ne pas avoir de fin, c’est cela qui angoisse.
De toute façon, au train où vont les choses, la population fragile qu’on veut protéger en France, ne sera pas vaccinée avant l’été, on en sera peut-être à plus de 100 000 morts au train où vont les choses, qui sait ?
Évidemment ce n’est pas Verdun, où il en mourrait parfois autant en un jour ! Mais tout de même. Nous voilà confinés jusqu’à l’été, et même au-delà, jusqu’à la rentrée peut-être, voilà ce qu’on se dit. Les gens se révoltent, un peu, puis réfléchissent, se résignent un moment, jusqu’à quand ? Jusqu’aux élections, la soupape démocratique ? Peut-être ?
Et la vie continue, c’est drôle la vie, c’est trivial, quotidien, on ne se rend pas compte que c’est la vie, enfin la vie vivante, celle qui rend heureux de vivre. Aujourd’hui c’est différent, les marins ont un mot pour désigner ça par gros temps, ils disent : on se met à la cape. Voilà, nous sommes tous à la cape, et comme il pleut, avec la capuche sur la tête en plus. On se met à la capuche, c’est d’un triste !
Dessous, on aperçoit des visages masqués, comme au lendemain d’un carnaval qui n’aurait pas eu lieu. C’est drôle tout de même, tous ces masques qui ne font pas rire, mais qui rassurent un peu. Chacun les porte, parce qu’il faut les porter, avec plus ou moins de conviction, de tranquillité, de mauvaise conscience, mais on s’y fait. Quelqu’un a dit : c’est comme pour l’étoile jaune jadis, celui-là était trop pessimiste, on a haussé les épaules. Pour qui se prend-il, les Nazis ne sont pas au coin de la rue tout de même.
À qui s’en prendre alors ? Il y a bien longtemps qu’on ne s’en prend plus à Dieu ou la fatalité, mais nous n’avons pas été éduqués à la fatalité. La France de la sécurité sociale, elle a été habituée à être protégée de tout.
Alors c’est la fureur, et parfois le désespoir ; il faut bien qu’il y ait un coupable. Les Chinois ? Sans doute mais ils sont loin, le gouvernement alors, les hommes politiques, les docteurs « tant pis « et les « docteur tant mieux », et je ne parle pas là des médecins, mais des oracles médiatiques, toutes ces pythies de comptoir ou d’écran, ceux qui accusent, qui disent qu’ils savent et qui ne savent rien.
Ce que nous, nous savons de toute éternité, ce qu’on a besoin d’un bouc émissaire ; au choix : le libéralisme, l’économie de marché, les riches, les grandes surfaces, le gouvernement, les privilégiés, l’hôpital, les oiseaux migrateurs, les canards, son voisin, son cousin, ceux qui sont mieux lotis que soi, enfin quelqu’un qui accepte de porter le chapeau et le masque du bouc qu’on promène par la ville et auxquels on lance des pierres, avec ou sans gilet jaune !
Voilà toute affaire, depuis le début des temps où nous vivions en société. On avait pour ça inventé le Carnaval en occident. Bien commode le carnaval ; un paillasse que l’on gonfle de suffisance et d’orgueil, qu’on promène en ville et qu’on brûle sur la place publique à la fin chargé de tous les péchés des citadins. Après ça allait mieux, on avait éradiqué la cause du mal, ça rassurait les âmes simples.
« Carnaval est arrivé ! » disait-on dans le temps, oui mais, à part les enfants et les ethnologues, qui croit encore aux vertus du carnaval, et puis il est interdit de faire des feux en ville et même des fêtes ! Alors ?
Alors on attend.