MADAME BACHELOT AU PIED DU MUR

Curieux destin que celui de notre ministre de la culture qui de rebond en rebond aura finalement sauté sur l’un des postes les plus enviés de la République. Il est vrai que depuis un certain temps celui-ci était davantage considéré comme un « casting » que comme une promotion même si c’est encore le cas. Après tout, l’expérience dans un poste ministériel donne à celui ou celle qui l’occupe un certain avantage et surtout une réelle opportunité d’agir.

De fait, la profession lui fait plutôt bonne figure et attend beaucoup d’elle. Il y a toujours des grincheux qui trouveront qu’on ne donne pas assez d’argent mais enfin, il y a belle lurette que la culture n’avait pas eu autant de dotations d’un coup. 50% de son budget culturel en plus, cela n’arrive pas tous les jours même si c’est dans des conditions précises de crise sans précédent. Mais justement, il y a là soudain un tel volume de crédits que certains ajustements, redéploiements et réorientations de politique culturelle sont sans doute possibles. Et c’est là l’inquiétude que cette opportunité ne soit précédée d’aucun projet d’envergure sauf celui de venir au secours d’un secteur sinistré.

Rappelons-nous 1980 : le doublement du budget de la culture sous Mitterrand-Lang, mais là, il y avait une sacrée feuille de route à mettre en œuvre, des plans, des projets, des études faites par les meilleurs, de sorte que Lang n’avait eu qu’à puiser dans sa boite à outils en choisissant de financer telle ou telle opération pour redessiner le nouveau projet culturel de l’État en général.

Certes, la chose est plus difficile aujourd’hui : il y a des priorités qui sont de tenir hors d’eau les salles de spectacle qui peuvent couler, de maintenir l’emploi artistique et de faire en sorte que le public revienne, mais une fois ces objectifs atteints, il n’est pas interdit de repenser la politique culturelle d’ensemble. 60 ans après la création du Ministère de la culture à la lumière de ce qu’on sait de son histoire et des défis du présent, c’est encore possible.

Parmi ces questions, il y a celle de la fracture sociale de notre société mais pas seulement, il y a également une fracture culturelle : plusieurs histoires culturelles s’entrechoquent et remettent en question la manière de vivre la culture dans notre pays. Il faut répondre au plus haut niveau à cette interrogation : avons-nous encore un modèle à défendre comme on le croyait en 1959, ou sommes-nous exposés à la domination des minorités tyranniques ou des nouvelles technologies sous idéologie américaine comme on le constate tous les jours ? Comment préserver, faire connaître et rayonner notre patrimoine ? Comment soutenir notre création vivante bousculée par les influences contradictoires d’un monde en déséquilibre ? Comment transmettre la culture d’héritage dès l’école et efficacement ? Comment croire encore que la culture puisse décider de notre présent « entre passé et avenir » comme disait H. Arendt ?

Tant et tant de questions qui demanderaient que l’on remette à plat la politique culturelle en général et ses couches successivement empilées de priorités contradictoires productrices d’ayants droits les plus divers. Ne faudrait-il pas enfin essayer de nettoyer tout cela, de clarifier enfin ce statut d’intermittents du spectacle dont on sait que le périmètre est devenu si large qu’on a du mal à l’appréhender dans sa complexité ?

Une feuille de route pour une ministre pleine de bonne volonté préparée par son administration c’est bien, car il faut parer au plus pressé, mais une ébauche de projet culturel comme on en a connu en 59, en 80, qui rebatte les cartes et déploie des objectifs, donne des perspectives ce serait mieux. S’y attèle-t-on ? Rien ne l’indique à ce stade. Or c’est lorsqu’il y a de nouveaux crédits que l’on peut le mieux redéployer et resserrer une ambition articulée sur des objectifs. Pour l’instant, on a beau scruter les oracles on ne voit pas venir grand-chose. Or son sait que les professions de la culture, le spectacle vivant par exemple ,sont capables d’inventer de nouveaux modes de fonctionnement, de production, de financement, d’emploi qui pourraient changer les choses. La ministre et son nouveau cabinet en ont-ils le désir, en sentent-ils la nécessité ? À ce stade, on l’ignore. La culture n’est pas seulement un malade au chevet duquel il faut prodiguer des soins, c’est aussi un milieu résilient capable d’apporter de nouvelles réponses à une ambition pour autant qu’elle s’exprime au plus haut niveau de l’État. Et pourquoi pas un « discours du Président » sur la culture, alors qu’il s’exprime sur tant de sujets et si peu sur le fond de ce dernier.

PASSEZ MUSCADE !

Hier soir, nomination du nouveau gouvernement : la liste vient d’en être communiquée. À la culture ce sera Bachelot, une revenante, il paraît qu’on l’a nommée parce qu’elle aime l’opéra, après tout pourquoi pas, cette Roselyne fait penser à la Rosalinde de Shakespeare, un peu androgyne celle-là, mais si malicieuse et celle-ci si roublarde ! 

La passation de pouvoir s’est faite d’affilée : c’était très drôle, le prédécesseur enfin loquace s’est échiné à expliquer tout ce qu’il n’avait pas fait et qu’il aurait fallu faire si… bah il n’aura pas eu le temps, comme les autres ; un peu moins de deux ans en fonction ; six ministres en huit ans, c’est tout dire ! 

Le jeu des chaises musicales continue. Intéressant tout de même que cet hommage du ministre de son administration, et instructif surtout, en ceci qu’il dévoile ce qu’il en était de ce ministère : un groupe de gens entre eux: (la culture est devenue cela : non plus un projet mais une administration de service public comme une autre), là où on ne tient plus de discours au peuple depuis longtemps parce que les politiques sont devenus muets sur le sujet et qu’en fin de compte on est bien entre soi dans ce petit monde clos, l’un de ces « clusters » où se contamine l’élite avec vue panoramique et statistique sur le peuple comme un appartement de vacances qui aurait une vue sur la mer. 

Et il parlait, il parlait, ce grand muet qu’on n’entendit jamais autant, enfant sage qui se tenait là où on l’avait mis, comme ces grands timides qui tout d’un coup se lâchent et qu’on n’arrête plus tant ils avaient à dire. C’en était presque gênant et la « Bachelot » (on a envie de l’appeler ainsi, tant elle fait comédienne, clignant des yeux et sourire en coin) faisait bonne figure dans son rôle de potiche; jeu de rôle en effet comme il y en a au théâtre. Finalement, l’un sortit par la porte de derrière mais sous les applaudissements et l’autre s’empara enfin du micro pour dire des platitudes et quelques vérités d’évidence : Elle n’aurait pas davantage de temps que le premier pour conduire une réforme ou des projets que personne ne lui demande d’exposer. Il faudra seulement compléter ce qui existe, colmater, apaiser, panser les maux de ce milieu qui a tant souffert dans la période de la pandémie et qui attend tellement de l’État, son maître, son bon maître, celui qui tient ses gages !

Que faire un effet, sinon donner des prébendes lorsqu’on n’a pas d’idée. Naturellement les radios ont été chercher l’inusable Jack Lang pour dire ce qu’il conviendrait de faire, et le même discours entendu mille fois, coula comme l’eau de la fontaine, resservant le même discours sur l’amour des artistes et le besoin de les soutenir dans leur création. Message reçu cinq sur cinq, on s’en doute.

Voilà tout était dit, il convenait de faire la révérence et de chanter l’air des pêcheurs de perles en hommage à cette amatrice d’opéra en espérant qu’elle en sera une et ainsi fera la fortune de quelques-uns : passez muscade !

LA RÉPUBLIQUE N’EFFACERA AUCUNE TRACE…

Chacun dans son rôle : nous avons enfin entendu le président de la république déclarer que : « la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire et ne déboulonnera pas de statues ». Enfin une parole sensée se dit-on, et qui vient à son heure. N’avait-on pas vu déjà, cédant à un emballement très franco-français, des personnalités médiatiques, politiques, et même un ancien Premier ministre appeler au déboulonnage des statues et faire de l’anticolonialisme, à rebours des priorités du moment, un combat national d’arrière saison. On lit dans « Le monde » un appel solennel au Président de la république à débaptiser le salon Colbert de l’assemblée nationale. On voit bien que s’il n’avait été mis un arrêt tout aussi solennel à cet emballement, où tout cela aurait pu nous entraîner : clairement à une de ces batailles symboliques cachant leurs véritables intérêts et qui sont la solution imaginaire des problèmes réels !

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UN FAUTEUIL SUR TROIS !

D’abord la bonne nouvelle : on rouvre les salles de spectacle ! Ensuite la mauvaise : oui mais un fauteuil sur trois et un masque sur le visage. Diable ! On ne va plus savoir si Arlequin est sur la scène ou dans la salle !

Mais gardons la bonne nouvelle : on rouvre ! On sait déjà malgré tout qu’en maints endroits (non subventionnés ou peu) l’équilibre des recettes et des dépenses ne sera pas atteint, et que cela ne pourra durer longtemps comme ça, mais tout le monde a envie de rouvrir, de voir du monde dans les salles, de retrouver…le public.

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guy BEDOS, mort d’un humoriste

Il a foulé les planches du Parvis à de nombreuses reprises et le public de la scène nationale le connaissait bien, mais l’équipe du théâtre l’appréciait comme un ami, un camarade de la scène et cet hommage souvenir en témoigne:

bord de scène au Parvis en 1980

Il faut parler de Guy Bedos. Voilà un personnage qui est venu souvent au parvis et ce dès les années 75. Guy Bedos était alors dans la pleine maturité et avait trouvé son personnage de râleur sympathique. Son entrée en scène à la façon d’un boxeur était caractéristique. Il fonçait d’abord, puis tournait comme un lion en cage  balançant des formules propres à faire mouche à chaque fois. Il fallait le voir conserver son attitude de boxeur à demi courbé comme pour donner et recevoir des coups. Le plus étonnant donc était aussi d’observer ses mimiques toujours entre la déclaration fracassante qui venait de franchir ses lèvres et le sourire qui venait immédiatement l’effacer figeant son visage dans une sorte de masque de clown, yeux plissés de malice, bouche ronde, air étonné du gosse mal élevé qui vient de lâcher un gros mot ou un pet et qui demande à ne pas être grondé. Mais ce clown provocateur savait toucher juste, et son sourire en fin de compte adoucissait simplement son trait d’un air convenu.

 

Guy Bedos montrait là une de sensibilité à fleur de peau, confrontée à des situations sociales dont on sentait bien qu’elle l’avaient blessé, atteint, et qu’elle s’exprimaient tout autant en défense qu’en attaque.

Parmi celles-ci il y avait évidemment sa réaction d’humour et son trait incisif contre la bêtise, le racisme qu’il avait connu en Algérie où il avait vécu toute son adolescence, mais plus profondément, il y avait une blessure secrète qui apparaissait de plus en plus nettement spectacle après spectacle, celle de ses rapports difficiles avec sa mère. Sa mère objet d’admiration, de rejet, d’exécration et d’amour tout ensemble. Tant de sentiments ressentis de façon si complexe, si contradictoire, qu’il fallait, pour les exprimer, toute la subtilité de ce dialogue ininterrompu entre cris, reproches, disputes, ironie, phrases blessantes qui font le quotidien de couples impossibles. Et c’est dans ce rapport là dans cette mise en scène là de ces blessures les plus profondes, que l’humoriste était le plus touchant.

 

L’autre aspect concerne son positionnement ou sa posture politique « À gauche toute », jusqu’à la caricature, mais la caricature est précisément l’art de l’humoriste, on lui pardonnait ainsi, d’autant plus, ses parti pris, que le public était venu pour cela et en redemandait. C’était un vrai plaisir de le voir brocarder les hommes politiques de droite de préférence mais aussi de gauche, parfois avec cet art de l’anecdote et de la phrase assassine qui fait tout son talent. La revue de presse qui terminait ainsi régulièrement son spectacle prenait de plus en plus de place dans son spectacle et justifiait à elle seule la faveur dont il jouissait auprès du public.

 

Mais je parlerai d’un Guy Bedos plus direct, descendu de scène et bavardant dans les loges ou au bord de scène. Le souvenir du comédien démaquillé, descendant de sa loge en Jean et s’asseyant avec l’équipe du plateau où avait eu lieu le spectacle, écoutant, intervenant sans se hausser du col, rigolant aussi, bon copain en somme, très proche des gens, vachard dans ses remarques aussi bien mais brave gars et amical tout autant. On avait, avec lui, l’impression de faire partie du même monde, celui de la scène entre ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, tout ce monde qui s’agite en coulisses pour qu’un spectacle ait lieu.

 

Ainsi, au fil des saisons –et il est venu souvent au Parvis – on l’a vu blanchir de la toison, changer de sujet parfois, se plaindre que la gauche au pouvoir, à l’arrivée de laquelle il avait contribué, lui donne du fil à retordre, le temps qu’elle ait fait les conneries indispensables à nourrir sa chronique ce qui ne manquerait pas d’arriver et lui donnerait l’occasion navrée de donner quelques coups de bâton à ceux qui le méritent. Tout cela a duré longtemps et puis est venu le temps des Zéniths et Guy Bedos pouvait passer au Zénith de Pau, tout proche, pour lequel il avait milité du reste avec les amis de la chanson de cette ville qui avaient su faire pression sur le maire pour que se construise ce grand équipement. Nous le verrons alors de plus loin, avec la même sympathie, mais avec moins de familiarité