POST AVIGNON, THEATRE TRISTE

Le ton du constat est général cette année, accusant une tendance déjà à l’œuvre les étés précédents : la programmation d’Olivier Py, de plus en plus orientée vers le politiquement correct, les sujets de société et les sujets politiques, (ce qui en soi ne serait pas un problème si la dimension artistique était au rendez-vous) se révèle malgré les chiffres de fréquentation assez constants, une fois de plus, décevante.

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VENDU, PAS ADJUGÉ !

Judith de Holopherne attribué à Carvage

Coup de théâtre dans la pièce du Caravage à Toulouse. Voilà la fin (supposée) du roman d’un tableau : le mythique « Judith et Holopherne » qui aura tenu les milieux de l’art et le grand public cinq ans en haleine a été retiré de la vente publique pour être cédé, de gré à gré. Continuer la lecture de « VENDU, PAS ADJUGÉ ! »

CONNAISSEZ-VOUS LES MILLENIUMS ?

Nés entre 1980 et la fin du siècle dernier, ils ont grandi avec les nouvelles technologies qui n’ont plus guère de secrets pour eux, que ce soient les jeux vidéo ou les DVD ou le « streaming », ils s’expriment en « globish américain » ou en Anglais parfait et sont habitués à l’abondance qu’Internet peut offrir. Tout, tout de suite, tout le temps. Ils résident pour la plupart dans les pays occidentaux à haut niveau de vie, ils n’ont pas connu le monde avant le Sida, mais ils ont eu accès très jeunes aux films et vidéo érotiques. Ils ont appris l’amour non dans la Chartreuse de Parme mais dans les films porno et ont dû ensuite « s’essayer à l’autre » comme on dit. Continuer la lecture de « CONNAISSEZ-VOUS LES MILLENIUMS ? »

BIENNALE V : HORS DES SENTIERS BATTUS

Lorsqu’on quitte le périmètre de la Biennale proprement dit, il reste que Venise est un immense musée. Déjà avec ses institutions pérennes : l’Académia où se trouve « la Tempesta » de Giorgione et le martyre de Sainte Ursule du Carpaccio, où encore l’église Dalmate où se trouvent probablement les plus beaux Carpaccio du monde, ou encore San Rocco et ses Tintoret, sans compter tout le reste.

e San Giorgio Maggiore

ADRIAN GHENNIE

Ce « devoir » fait, il faut traverser le Grand Canal pour aller sur les Zattere et en chemin s’arrêter si l’on veut à la fondation Guggenheim qui présente un ensemble important d’œuvres du sculpteur Arp et de ses contemporains, mais on peut aussi filer un peu plus loin vers la fondation Cini qui outre ses merveilles d’art et de peintures anciennes (dont un Piero Della Francesca de 1410) permet de découvrir la nouvelle production de ce peintre Adrian Ghennie, qu’on avait découvert au pavillon Roumain de Venise en 2013, et qui se révèle ici comme un des très grands peintres contemporains dans la lignée des Bacon, Freud, Barcelo entre autres par la force expressive qu’il met en jeu, à laquelle il joint, un fantastique de la distorsion, qui n’est pas sas rappeler Jerôme Bosch dans un autre registre. Son exposition s’intitule : » The Battle between Carnival and Feast « (Carnaval et festin) coup de chapeau à Venise bien sûr, mais aussi évocation des naufrages dans la mer des tempêtes qu’il évoque par une citation du radeau de la Méduse de Géricault.

Mais qu’est-ce qui nous saisit dans cette peinture au-delà de son sujet ? L’évidence simple d’avoir affaire à un grand artiste, hors tout discours explicatif, hors toute mise en scène ou installation. Là, sur la toile éclate l’évidence formelle d’un art et si peu que l’on soit frotté à ces matières, voilà qui crève les yeux et justifierait à soi seul le voyage à Venise.

Adrian Ghennie

JAMES LEE BYARS

Poussons plus loin sur les Zattere, cette fois, l’occasion d’un arrêt à l’église des Jesuati où pour une pièce de 50 centimes on peut éclairer et voir une des plus belles crucifixions du Tintoret et tant que nous y sommes, aller dans l’église Santa Maria découvrir l’œuvre de James Lee Byars.

Treize minutes, pas une de plus, voilà ce que dure une des installations les plus fortes de cette Biennale. Pas de crucifixion ici, mais aussi paisible qu’elle, une réflexion sur la mort.

Celle de l’artiste James Lee Byars conçue et mise en scène par lui-même alors qu’il luttait contre un cancer incurable en 1994. Elle s’intitule simplement : « The Death of Jame Lee Byars ». Imaginez une immense cuve (un caveau) rectangulaire de plusieurs mètres de haut, dressée verticalement et tapissée à l’intérieur de feuilles d’or au milieu de laquelle, recouvert lui aussi de feuilles d’or, git un cénotaphe. Il faut imaginer en outre, car l’artiste n’est plus là comme tel, mais qu’il s’est bien, lui-même, étendu sur cet édicule, enveloppé d’un manteau recouvert d’or. Pour parfaire l’installation, la Fondation Walter Vanhaerents a confié au musicien libanais Zad Moultaka (dont on avait pu voir l’installation, Gilgamesh, en 2017 à l’Arsenal) d’entrer en dialogue musical avec cette œuvre.

16 haut-parleurs sur piédestal diffusent en boucle « Vocal Shadows » un chœur funéraire dont le requiem guide le passage d’un esprit désincarné vers l’au-delà. À mesure que les paroles et les sons se dispersent de manière rythmique dans l’espace de l’exposition, ils se combinent avec des motifs acoustiques sans cesse changeants. « J’espère que l’expérience que feront les gens de la façon dont je m’exerce à ma propre mort sera utile pour eux-mêmes » disait James Lee Byars en 1994.

Qu’aurait-il pensé de ces visiteurs étourdis (l’entrée est libre), fascinés par l’or qui brille, venus se faire photographier devant ce « caveau » avec le sourire idiot qu’ont ceux qui n’ont rien vu, puis repartent sans avoir rien entendu non plus, satisfaits néanmoins de l’image qu’ils ont prise d’eux-mêmes. Néant face au néant.

James Lee Byars

Allons traversons la Guidecca cette fois pour aller déjeuner sur le quai d’en face dans une de ces Trattorias toutes simples qu’affectionnait ce Vénitien de François Mitterrand lorsqu’il séjournait chez son ami le peintre Zoran Music et découvrons l’exposition de photos de l’immense Letizia Battaglia

LETIZIA BATTAGLIA

On avait vaguement entendu son nom sans véritablement pouvoir mettre des images en face. Personnellement j’associais spontanément ce travail à celui du néo réalisme italien ou du cinéma qui suivait avec les descriptions de figures populaires, de la mafia du crime, de la périphérie des villes, bref, je confondais tout. Il a fallu cette rencontre avec 300 photos d’une photographe septuagénaire hors du commun qui avoue n’être venue à cette pratique que par hasard, parce qu’on lui a offert un appareil et qu’elle s’est mise à regarder le monde autrement, à travers un viseur, pour changer mon opinion. Une exposition remarquable donc à voir à la galerie dei Tre Oci sur la Guidecca, qui effectivement montre le Sicile de la mafia, de la misère et de la dignité dans la pauvreté, mais aussi la joie des enfants, la beauté des visages (remarquable série de portraits de Pasolini encore jeune et si grave, si intense, aussi beaux que les portraits d’Artaud que tira jadis Denise Collomb), terribles portraits d’homme politiques italiens comme Berlinguer par exemple, le tout en «  noirs et blancs » somptueux qui magnifient un coup d’œil irrémédiable sur le monde à l’exception peut-être de cette photo couleur récente où l’on voit une adolescente brandir un drapeau rouge sang. Une découverte.

Letizia Battaglia: Pasolini

À deux étapes de vaporetto se trouve l’Île de San Giorgia Maggiore où nous attendent deux expositions remarquables : Alberto Burri et plus loin San Scully.

ALBERTO BURRI

Alberto Burri, on l’a un peu oublié. Très connu dans les années soixante, on retient en général de lui, ces sacs cousus et collés sur toile, ses plastiques collées eux aussi et brûlés, carbonisés, on sait qu’il compte parmi les grands peintres matiéristes comme Tapies par exemple, qu’il entreprit de renouveler le langage de la peinture « du côté » de la matière comme Dubuffet, qu’on l’apparenta pour cette raison aux « informels » sans doute à tort et que son geste de coudre, perforer, trouer, sa façon de « brûler la matière » inspirera Arman et surtout Rauschenberg qui y trouvera la justification de ses « Combine Paintings « . Si on s’en tenait là, on aurait tort tant cette exposition (véritable rétrospective des grand moments de sa peinture) est éloquente.

On a là en effet une vision dans le temps de son travail, depuis les sacs colorés et cousus-collés, jusqu’aux grands à-plats immenses, magnifiques où s’insèrent des motifs byzantins à l’image des Viennois de la « Secession ». Et puis il y à le Burri sculpteur avec des œuvres à la manière des stabiles de Calder et surtout cette sculpture dans l’espace qu’il a conçue en hommage au tremblement de terre en Sicile qui a détruit le village de la Gibellina non loin de Palerme pour laquelle il a créé une œuvre de la taille de ce village qui vue d’avion doit ressembler à l’un des ses tableaux blancs craquelés comme un fond de lac argileux dont l’eau s’est retirée. Ses craquelures sont des rues, le dessin de l’argile des pâtés de maisons sans portes ni fenêtres, le tout ne s’élevant au sol à pas plus de deux mètres de hauteur. Lorsqu’on visite la région de Palerme, il arrive qu’on voie de loin cette tache blanche sur une crête, c’est la plus belle traduction de la notion de destin qui suit un tremblement de terre ou rien n’existe plus que le silence qui a faut suite au désastre. Voilà un rêve d’artiste réalisé, mettre son tableau à la hauteur de la nature, ajouter son art à la nature, n’est-ce pas la définition même de l’art.

Alberto Burri: La Gibellina (Palerme)

SEAN SCULLY

Et puis, c’est juste à côté, dans l’église même de San Giorgio que nous accueillent 34 dalles de couleur empilés les unes sur les autres, sortes de podiums recouverts de feutre de couleurs différentes ,formant de ces bandes typiques de l’art de Scully. Une image de l’échelle de Jacob nous dit le sculpteur qui en propose une version en bois dans le jardin. On s’assied, on regarde, on médite, on peut même entrer dans cette sculpture et puis on va dans la sacristie (lieu où sont conservés les objets sacrés) qui contient l’exposition de dessins préparatoires à la cérémonie silencieuse que propose de Scully afin de préparer la réflexion graphique qui y conduit. Puis on passe dans les espaces du cloître où sont présentés le long d’un long couloir les somptueuses toiles (déjà vues à Venise) dont la superposition chromatique fait si fortement songer à Rothko dont on s’accorde à dire que l’art de Scully découle. Dans les salles, le long du couloir, on retrouve les magnifiques pastels qui ont fait sa réputation et dont la perfection formelle et la beauté saisisent toujours autant.

Pas une découverte vraiment donc, mais un plaisir renouvelé et, dans ce décor, une pensée pour la chapelle de Houston qui fut une des dernières créations de Rothko avant  son suicide. Sean Scully est plus solaire, plus engagé dans le monde, sa peinture ne donne pas l’impression de buter sur un mur, au contraire, elle le traverse, elle est un flux, elle nous entraîne et nous voulons suivre encore longtemps sa trajectoire. Un doute cependant, la dernière salle présente un triptyque de nature religieuse mais figurative comme un essai, un repentir, une alternative à son univers abstrait ? Cette vision nous laisse songeurs.

Sean Scully: l’échelle de Jacob


BIENNALE IV : LA FONDATION PINAULT

Luc Tuyman

Dans la bataille mondiale pour le « Soft Power », la présence d’outils culturels de niveau international est essentielle. Longtemps à Venise, la Fondation Guggenheim a rempli cet office. Désormais, François Pinault en investissant dans la Palazzo Grassi et à la Dogana a modifié la donne et donné un coup de vieux au Guggenheim de Venise qui joue dans le registre des valeurs reconnues (Arp cette année, Wols la dernière fois), alors que la fondation Pinault campe sur le contemporain.

Désormais, on ne peut éviter ce parcours obligé que sont les expositions au Palazzo Grassi et à la Dogana par où s’exerce le rayonnement de cette fondation. Lors de la dernière Biennale, c’est là qu’avait été présentée l’incroyable Odyssée conçue par Damien Hirst dont toute l’astuce était de mettre en scène le leurre de fausses épaves repêchées en mer moulées en bronze et de vraies nomenclatures les décrivant comme vraies.

L’ennui est que la fondation semble avoir pris goût à cette façon de présenter les choses et que nous avons désormais droit à des expositions d’ « art avec mode d’emploi » qui énervent. Au Palazzo Grassi par exemple, on vous distribue un livret de 45 pages qui à chaque tableau consacre une page, ce qui laisse bien peu de place au regard et à l’impression ressentie. Du reste, on se demande, si sans cela, l’œuvre serait même visible. Pourtant Luc Tuymans est un artiste Belge connu et sa peinture en tons pastel, très évanescents, parfois monochromes, à la limite du visible, présente en soi un réel intérêt. Mais on est prié de savoir qu’ici on évoque la Shoah, là les travaux de Freud, là encore le cinéma de Lynch ou les séries télévisées, là que l’on fait référence à une œuvre antérieure, là encore à un fait divers japonais et que l’effacement des tons, des monoteintes est un effacement de mémoire. Soit ! Mais très vite, on n’en peut plus de voir tous les visiteurs suivre un jeu de piste en lisant avant de regarder ou sans regarder même. On est pris soi-même dans cet engrenage et on enrage d’avoir à considérer la peinture comme une illustration. On finit par jeter le mode d’emploi, et l’on s’efforce de voir enfin avec nos propres yeux. Alors apparaissent des choses qui parlent d’elles-mêmes comme cet inquiétant clown au ballon ou cette nature morte qui fait penser à Morandi plus qu’au 11 septembre 2001 dont on nous dit qu’elle est l’évocation.

 

Moins caricaturale, mais tout aussi didactique (n’y a-t-il donc que des visites scolaires dans cette fondation ?) est celle de la Dogana qui s’intitule : « Lugo et Segni » (Lieu et signes) qui présente des travaux d’artistes de la fondation et des œuvres plus connues ou déjà vues ici comme en entrée d’exposition ce grand rideau rouge de Gonzalez-Torres en allusion au Sida qui devait l’emporter, derrière lequel Roni Horn a disposé des poèmes d’Émily Dickinson sur des grands bâtons appuyés le long des murs. Dans une autre salle la même artiste a disposé des sortes de blocs de verre pétrifié qui évoquent l’eau prisonnière de la glace toute prête à fondre (qui ont été réalisés à Murano). Ces cylindres gelés fascinent et le titre de cette installation : « Well and Truly » convainc. On ne manquera pas non plus les très beaux tirages argentiques de la photographe Berenice Abbott, ou les vidéos iconiques comme celle que Philippe Parreno a consacrée à « Marylin » en 2012 avec la complicité d’Etel Adnan. Nous sommes avec le fantôme de Marylin dans sa chambre de l’hôtel du Waldorf Astoria. Toujours fascinant. De même, la vidéo que consacre Anri Sala aux évènements de la guerre de Yougoslavie (1395 jours sans rouge) où l’on suit une jeune musicienne traversant la ville de Sarajevo assiégée pour se rendre à une répétition d’orchestre qui joue la « Pathétique » de Tchaïkovski qu’elle se fredonne en marchant. La ville, la musique, le souffle : 43 minutes, 46 secondes, c’est parfois un peu long, mais convaincant.

En tout état de cause, ce qui se passe à Venise est fort intéressant sous l’angle considéré des rapports de la France avec le reste du monde. L’existence (enfin) de grands collectionneurs (même si ces collections sont en grande partie composées d’œuvres d’artistes américains) permet à notre pays, déjà de se hisser au niveau de l’Allemagne ou de la Grande Bretagne qui ont suivi depuis longtemps les mêmes voies, mais encore en exportant notre savoir-faire en ce domaine et en mettant à contribution nos grands musées nationaux comme le Louvre dans l’opération Louvre Abu-Dhabi, ou encore le Centre Pompidou, de reprendre pied dans un domaine des avant postes desquels nous avions progressivement disparu. C’est là le signe le plus encourageant relevé depuis quelques années à Venise en particulier.