CULTURE GÉNÉRALE

L’affaire avait fait grand bruit dans le monde de la culture, il y a un peu moins de 10 ans, lorsque la prestigieuse école de Sciences Po supprimait l’épreuve de culture générale dans son concours de recrutement dans un but, disait son médiatique directeur d’alors, d’instaurer une sorte de « discrimination positive » afin de ne pas pénaliser ceux qui n’avaient pas la même culture générale que les autres. Pour compenser, on « valorisera l’engagement associatif » dirent les mêmes car ce qu’on veut, c’est attirer des personnalités, pas des surdiplômés. L’École normale supérieure de Lyon avait discrètement fait de même pour sa filière lettres et sciences humaines en raison du fait que« la dissertation de culture générale fait appel à une tournure d’esprit, une assurance, un goût pour l’abstraction, une façon de présenter ses idées, de mettre la bonne citation au bon endroit, qui s’apprend dans les milieux favorisés ». Le même mot d’ordre était affiché il fallait s’ouvrir à « la diversité », nouveau concept à la mode, car « chaque candidat a sa culture » se justifiait-on. 

Nous voilà renvoyés aux cultures d’origine ethniques ou religieuses. Et pourtant, malgré quelques protestations d’intellectuels, le tout était passé comme « lettre à la poste », bien loin de l’indignation collectivement médiatique qui avait suivi le « mot malheureux » du président Sarkozy estimant que mettre dans une épreuve de concours pour la fonction publique, le roman de la Princesse de Clèves était « sadique ou imbécile« . Và donc pour le multiculturel !

Or, la culture générale, si on la prend en bloc comme transmission des connaissances nécessaires à la survie d’une culture, constitue l’élément indispensable à la création d’un ensemble de références partagées qui permettent une vie en société susceptible d’épanouir l’individu dans une nation. C’est bien là le problème aujourd’hui. Les références ne sont plus les mêmes et elles ne sont plus partagées par tous.

Ce qu’on se demande cependant, est de savoir si la culture générale est une chose « héritée de son milieu sans effort » comme on semble le supposer, ou acquise par l’éducation (en France, par l’école de la République). On pouvait le penser jusqu’ici même si la critique « bourgeoise » de la « reproduction » s’était largement imprimé dans la tête des pédagogues post-68. Néanmoins, la bourgeoisie n’est pas aussi cultivée que l’on croit et à part, un milieu bien parisien où la culture se cultive en serre, il y a bien des étudiants venus de partout qui ont intégré les grandes écoles par la sélection et leur valeur intrinsèque qui les a fait réussir les concours ou les examens.

En réalité, derrière ces évolutions de façade et d’attrape-nigauds, il y a autre chose, c’est l’avancée d’une société poussée à évoluer d’un mode culturel ancien, vers un monde libéral anglo-saxon dont on a pu voir l’évolution ces dernières décennies en Amérique. Déjà en 1987, le professeur Allan Bloom déplorait dans son livre : (l’âme désarmée), la fin de la culture générale dans l’université américaine qui se développait sur les mêmes modalités.

Lucide le professeur Bloom pouvait observer que : « la crise de la culture générale ne fait que refléter une crise de l’enseignement à son plus haut niveau, une incohérence et une incompatibilité entre les principes premiers qui nous servent à interpréter le monde, bref une crise intellectuelle de très grande envergure, qui est en fait une crise de notre civilisation. » La messe était dite, le modèle culturel changeait de sens, l’Université américaine n’allait plus s’aligner sur les Universités du vieux monde, c’est le contraire qui allait se passer et qui nous occupe aujourd’hui. Très exactement le programme de Sciences Po, et de son défunt directeur progressiste. En réalité cette grande école était plus que cela, un milieu typique de la nouvelle culture qui focalise aujourd’hui l’attention.

Récemment encore on apprenait que de jeunes auteurs allaient réécrire les pièces de Molière en un langage plus actuel. Renseignements pris, il ne s’agissait que d’un atelier d’écriture pour de jeunes écrivains francophones en partenariat avec la Comédie Française. Pourtant l’information parut si crédible qu’immédiatement elle enflamma les réseaux sociaux et que de distingués professeurs interrogés dirent ici ou là, que, c’est vrai, ma foi, à la réflexion, puisque les élèves lisent de moins en moins, pourquoi pas… Passons donc par la B.D, les « mangas » et les versions pédagogiquement simplifiées. Disons que ceux-là sont sans doute minoritaires qui veulent réécrire « la littérature pour les nuls » et concluons avec la philosophe Hannah Arendt que :« Bien des grands auteurs du passé ont survécu à des siècles d’oubli et d’abandon, mais c’est encore une question de savoir s’ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce qu’ils ont à dire« . Nous en sommes peut-être arrivés là.

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