Pour peu que nous soyons des téléspectateurs ou que nous intéressions au cinéma nous n’avons pu éviter de voir ou d’être informés de l’épisode le « la gifle » qui anima ces jours derniers la cérémonie de la remise des derniers Oscars à Los Angeles. En effet lors de cet épisode mondain deux vedettes de cinéma américaines ont été au cœur d’un évènement médiatique comme les aime le Show-business. Chris Rock, un animateur voué à débiter des blagues au public entre le défilé des vedettes venues dire leurs remerciements embués d’émotion sur scène, trouva approprié de se moquer publiquement de l’épouse d’un acteur connu, Will Smith, au motif que celle-ci atteinte d’alopecie (soit de la perte de ses cheveux) s’était fait raser le crâne. La chose devait être suffisamment sensible pour que son mari ne supportant pas l’outrage monte sur scène et gifle l’amuseur public.
La chose ne s’arrêta pas là pour autant et la suite est aussi intéressante que le début. Revenu à sa place avant de remonter sur scène pour recevoir l’oscar du meilleur acteur pour son film, celui qui s’était comporté en chevalier servant soucieux de l’honneur de sa dame s’effondra en larmes, demanda pardon, fit repentance en ne manquant pas d’ajouter en bonne confession publique que « la violence n’a pas sa place dans ce monde d’amour et de bonté ». Et là, toute l’hypocrisie de cette société puritaine éclata comme une grenade sur l’écran. Un monde d’amour et de bonté ! À part un prédicateur évangélique, on ne voit personne qui ait le front de tenir encore ce discours aujourd’hui moins que jamais.
Alors que le cinéma, les faits divers, le quotidien ne sont faits que de violence, que ces acteurs en sont les interprètes parfaits, entendre ça avait de quoi sidérer. Le décalage entre le réel et le virtuel donnait soudain à la scène une allure incroyable.
Voyant cela, je songeais : tiens, il est déjà intéressant que cette scène ait mis en cause deux noirs. Que se serait-il passé si cela avait été un homme blanc qui vienne gifler un homme noir ou l’inverse. Pas besoin d’être grand clerc pour imaginer les émeutes, la violence dans la rue et à tous les étages. Il est vrai que là le psychodrame va probablement se régler en dollars et compter en notoriété pour les acteurs qui vont bénéficier de surexposition médiatique au bénéfice du film et de leur carrière. Car après tout, comme on dit, il n’y avait pas mort d’homme. De là à dire que « c’était du cinéma », il n’y a peut-être qu’un pas, si l’on songe un instant combien ce petit monde, ce microcosme, se connaît intimement et vit dans un cercle étroit où prospèrent tous les excès, cela est connu.
Mais il est vrai aussi que cela nous renvoie au vieux monde, et même au très vieux monde, à celui où l’on donnait des gifles et où l’on en recevait, comme gamin, comme adulte parfois et que c’était pendant longtemps, un geste ou un réflexe éducatif qui avait pour but de remettre dans la bonne direction un enfant qui s’égarait.
N’est-ce pas notre premier magistrat qui gifla un gamin qui lui faisait les poches un jour de tournée électorale ? Et vous souvenez-vous de ce film de Pinoteau qui date des années soixante-dix avec Lino Ventura et Isabelle Adjani qui s’intitule justement : la gifle ? Il faut dire que dans ce film, il y en a de belles qui partent. Plus récemment encore, n’est-ce pas notre jeune Président qui se fit gifler par un quidam mécontent et sans aller jusqu’au souvenir de ce Dey d’Alger qui en 1827 souffletant d’un coup d’éventail un consul Français indélicat, déclencha plus ou moins directement la conquête de l’Algérie ; la gifle ou le soufflet a sa place dans l’Histoire.
Un soufflet, voilà comment on désignait la gifle au XVII° siècle, tous les enfants qui ont appris « Le Cid » se souviennent des vers célèbres : « d’un affront si cruel/qu’à l’honneur de tous deux il porte un coup mortel. D’un soufflet ! L’insolent en eût perdu la vie/mais mon âge a trompé ma généreuse envie ». Telles étaient sans doute alors les mœurs de la cour, et l’on ne compte plus le nombre de gifles pour des atteintes à l’honneur ou à la dignité qui ont donné lieu à des duels réglés à l’aube et sur le pré.
Au fond, les questions de délicatesse ou d’honneur n’ont pas disparu, ce sont les usages qui ont changé. On sait bien qu’en certains endroits, pour un mauvais regard, un air d’arrogance ou un propos déplacé et ce sont les couteaux, les armes de poing qui entrent en jeu et qui tuent. Au fond, la gifle qui va par paire comme on sait, une sur chaque joue, outre qu’elle active le sang est quand même bien plus civilisée que la violence nue qui affleure partout.
La différence avec les Américains et leur société puritaine, c’est qu’ils en usent et en disposent plus que d’autres, mais sous couvert d’hypocrites repentances et psychodrames sociaux. Aussi ce coup de sang (s’il n’est pas finalement surjoué) a-t-il au moins l’avantage de nous montrer que tout ce cinéma, ce grand cinéma qui obsède les foules n’est autre que le jeu ordinaire, l’immense cour de récréation d’individus qui se prennent pour le centre du monde, dès lors qu’ils sont le centre des médias.On se dit aussi que certains dirigeants par les temps qui courent auraient bien besoin d’être remis à leur place par une simple paire de gifles en lieu et place de bombes et de canons qui ne sont que la forme tonnante de leur